1.3 Le prix de gros du gaz naturel augmente fortement
1.3.1. prix de gros du gaz naturel
Le gaz naturel s’échange de gré à gré, en général via des contrats de long terme pouvant s’étendre sur plusieurs dizaines d’années. Il s’échange aussi sur des marchés organisés, au comptant, pour une livraison le jour-même ou le lendemain, ou à terme. Moins dense et moins aisément transportable que le pétrole, le gaz naturel nécessite des infrastructures plus coûteuses pour être acheminé des zones de production à celles de consommation. Les volumes transitant par ces infrastructures sont limités, ce qui peut entraîner des congestions sur le réseau. Le prix du gaz reflète ainsi des équilibres régionaux entre offre et demande. Depuis l’été 2021, les écarts de prix entre les principales zones de marché se sont fortement creusés (figure 1.3.1.1). Les prix du gaz sur les marchés européens ont en effet fortement augmenté après la crise sanitaire en raison des tensions sur l’offre de gaz russe, alors que la demande, stimulée par la reprise vigoureuse des économies et un niveau de remplissage des stocks relativement bas, était très dynamique. Dans le même temps, le prix du gaz naturel à la bourse de New-York a crû à un rythme nettement inférieur en raison de l’exploitation de gaz de schiste sur le territoire américain. Le prix du marché japonais se situe à un niveau intermédiaire : le gaz y est principalement acheminé par des méthaniers sous forme liquide, ce qui permet de diversifier davantage l’approvisionnement.
Le prix du gaz naturel sur le marché des Pays-Bas (Title Transfer Facility, TTF) est l’un des principaux prix de référence pour le marché continental européen. Il s’élève en moyenne à 46,6 €/MWh (en pouvoir calorifique supérieur, PCS) en 2021, en forte hausse par rapport à l’année précédente ; il est multiplié quasiment par quatre. Le prix sur le marché spot de Londres (National Balancing Point, NBP), principale référence avant 2017 sur le marché européen, connaît une évolution similaire, passant de 9,5 €/MWh en moyenne en 2020 à 46,2 €/MWh en 2021. Dans le sillage de celui du pétrole, le prix spot du gaz TTF a nettement augmenté à partir de juillet 2020 ; il a atteint un point haut fin décembre 2021, à 110 €/MWh, dans un contexte de demande soutenue, accentuée par une vague de froid. Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a encore renchéri le gaz naturel ; la poursuite du conflit et les menaces sur l’approvisionnement entretiennent depuis un niveau élevé et une forte volatilité des cours.
À partir de mai 2022, les prix à l’intérieur du marché ouest-européen, qui connaissaient jusqu’alors des évolutions très voisines, divergent en raison d’une forte hétérogénéité des pays européens en matière de dépendance au gaz russe. Selon l’ENTSOG (European network of transmission system operators for gas), de nombreuses infrastructures (ports méthaniers, points d’interconnexion) sont utilisées au maximum de leur capacité, entraînant des goulets d’étranglement sur le réseau, avec des flux inédits de l’ouest vers l’est et du sud vers le nord. Le durcissement des obligations de stockage renforce également la demande.
Figure 1.3.1.1 : prix spot du gaz naturel à New York, à Londres, aux Pays-Bas, en France et prix GNL importé au Japon
* PCS : pouvoir calorifique supérieur.
Sources : DGEC ; Reuters ; U.S. Energy Information Administration ; ministère japonais des Finances
En France, les échanges se matérialisaient jusqu’en novembre 2018 au niveau de deux points d’échanges de gaz (PEG), rattachés aux deux zones d’équilibrage du réseau de transport (PEG Nord et Trading Region South (TRS)). Depuis, les deux zones ont fusionné en un PEG, commun aux deux gestionnaires de transport GRTgaz et Teréga. La bourse du gaz pour le marché français est gérée par Powernext. En 2021, le prix spot du gaz naturel s’y élève en moyenne à 45,5 €/MWh ; il évolue en 2021 quasiment comme celui des marchés de Londres et des Pays-Bas. Depuis mai 2022, il augmente un peu moins vite que l’indice TTF mais suit globalement la même tendance. Les prix fin 2021 pour une livraison à l’hiver 2022-2023 sont particulièrement élevés, et nettement plus hauts que ceux pour une livraison à un horizon plus lointain.
Les importations françaises reposent encore, à 75 %, sur des contrats de long terme (plus de deux ans) négociés de gré à gré, principalement avec la Norvège, la Russie, l’Algérie et les Pays-Bas. Bien que les contrats de long terme restent encore très dépendants des cours du pétrole, sur lesquels ils étaient historiquement indexés, les évolutions des prix de marché du gaz occupent, depuis la fin des années 2000, une importance croissante dans le calcul de leurs tarifs. Après avoir fortement baissé en 2020, les prix auxquels la France achète du gaz naturel ont fortement augmenté en 2021, pour atteindre 29 €/MWh en moyenne (figure 1.3.1.2). Ce montant, plus bas que le prix moyen du gaz naturel sur l’année, reflète notamment un approvisionnement plus conséquent au printemps, début de la période de remplissage des stocks. En 2021, la France réexporte par ailleurs du gaz naturel à des prix légèrement inférieurs aux prix moyens d’importation, car elle a davantage réexporté lorsque les cours étaient plus bas.
Outre le gaz naturel importé, du biométhane est injecté dans le réseau, à des quantités encore faibles mais en forte croissance. Les producteurs de biométhane bénéficient de tarifs d’achat régulés, qui dépendent des caractéristiques de leurs installations et dont la logique est de couvrir leurs coûts. Le tarif d’achat moyen est stable depuis 2019, à 103 €/MWh (figure 1.3.1.3).
Figure 1.3.1.2 : prix moyen à l’importation et à l’exportation du gaz naturel
En €/MWh PCS*
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Importations |
17,5 |
21,3 |
17,0 |
11,6 |
29,0 |
Exportations |
17,4 |
20,6 |
17,1 |
10,4 |
24,2 |
* PCS : pouvoir calorifique supérieur.
Source : SDES, Bilan de l’énergie, d’après GRTgaz, Teréga, les fournisseurs de gaz, DGDDI
Figure 1.3.1.3 : tarif d’achat moyen du biométhane injecté dans le réseau
En €/MWh PCS*
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Tarif d'achat |
99,5 |
102,2 |
103,3 |
103,1 |
103,2 |
* PCS : pouvoir calorifique supérieur.
Source : CRE
1.3.2 prix à la consommation du gaz naturel
En 2021, le gaz a été payé en moyenne 51,7 €/MWh (en pouvoir calorifique supérieur), tous consommateurs et tous types d’offres (tarifs réglementés ou offres de marché) confondus. Ce prix inclut la TVA pour les ménages mais pas pour les autres acteurs. Après deux années de baisse, il augmente de 31 % par rapport à 2020. Sur dix ans, ce prix moyen dépasse celui atteint en 2013 (46,8 €/MWh) et plus encore celui de 2018 (44,3 €/MWh). Ces évolutions peuvent être analysées en décomposant le prix en la somme de quatre termes : la composante « approvisionnement » (coût de la molécule de gaz), la composante « infrastructure » (coût de l’accès aux terminaux méthaniers, du transport, du stockage et de la distribution) - (cf. 3.2), les taxes nettes des subventions et les marges de commerce (incluant un écart statistique) - (figure 1.3.2.1).
Figure 1.3.2.1 : décomposition du prix moyen du gaz naturel
* PCS : pouvoir calorifique supérieur.
Note : la TVA est incluse pour le résidentiel uniquement, car elle est déductible pour les entreprises.
Source : SDES, Bilan de l’énergie
La hausse du prix en 2021 s’explique par celle du coût d’approvisionnement, qui représente 58 % du prix. Celui-ci est essentiellement lié au prix des importations et subit donc la volatilité des prix sur le marché international. Il augmente fortement en 2021, passant à 30,1 €/MWh, contre 12,6 €/MWh en 2020 et 17,4 €/MWh en 2019. Après la fin des confinements, la reprise économique au début de l’année 2021 a créé une demande plus forte sur le marché international. En effet, le prix spot du gaz NBP à Londres commence à augmenter à la fin du premier trimestre, puis progresse à un rythme soutenu tout le reste de l’année, pour atteindre un niveau historique de 111 €/MWh fin décembre 2021, soit une multiplication par six par rapport à fin décembre 2020.
Le coût relatif à l’utilisation des infrastructures s’élève à 12,9 €/MWh, soit 25 % du prix total. Il est lié en grande partie aux décisions tarifaires de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Après une augmentation en 2020, il diminue de 7,6 % et revient sensiblement au niveau de 2019. Les tarifs comportant des parts fixes, une partie de la baisse observée pourrait s’expliquer par la hausse de la consommation de gaz en 2021. Le coût global d’utilisation des infrastructures gazières est imputable en 2021 pour 55 % à la distribution, 28 % au transport, 10 % au stockage et 7 % aux terminaux méthaniers.
Les taxes hors TVA s’élèvent en moyenne à 5,6 €/MWh en 2021, dont 4,8 €/MWh pour la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) et 0,8 €/MWh pour la contribution tarifaire d’acheminement (CTA). La TICGN a fortement augmenté entre 2014 et 2018 ; elle ne représentait jusqu’en 2013 que 0,5 €/MWh en moyenne. Cette hausse sur la période s’explique, d’une part, par la suppression de l’exonération dont bénéficiaient les ménages et, d’autre part, par la montée en charge de la composante carbone désormais intégrée aux accises énergétiques. Le taux de TICGN est en revanche resté stable depuis 2019. Jusqu’en 2020, les opérateurs bénéficiaient d’une exonération de TICGN sur les volumes injectés avec une garantie d’origine biogaz. En 2021, cette exonération a été remplacée par une réduction générale du taux plein, passant de 8,45 à 8,43 €/MWh.
Les subventions représentent 0,5 €/MWh en 2021 et sont exclusivement liées aux subventions au biométhane. Ces subventions prennent la forme d’obligation d’achat dont les conditions financières sont fixées règlementairement. En 2021, le coût d’achat du biométhane, selon la CRE, est en moyenne de 103 €/MWh, incluant une subvention de 53 €/MWh pour une production totale de 4 TWh. Par ailleurs, le tarif spécial de solidarité gaz dont bénéficiaient des ménages en situation de précarité a été remplacé début 2018 par le chèque énergie, qui n’est pas uniquement ciblé sur le gaz, pouvant être utilisé pour tout type de facture d’énergie du logement ou pour des travaux de rénovation énergétique.
La compression des marges en 2021, à 0,3 €/MWh, contre 4,5 €/MWh en 2020 et 3,5 €/MWh en 2019, a limité la hausse du prix. Il convient toutefois de considérer avec précaution cette estimation des marges de commerce, dans la mesure où elle inclut par construction un écart statistique. En effet, les marges sont calculées en retranchant les autres postes de coûts identifiables à la valeur monétaire de la consommation. Or, ces grandeurs sont estimées de manière indépendante et avec une certaine incertitude statistique, rendant fragile l’estimation de leur solde.
Figure 1.3.2.2 : prix moyens du gaz naturel par secteur
En €/MWh PCS*
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Branche énergie |
26,7 |
27,0 |
30,5 |
26,2 |
23,6 |
19,0 |
18,9 |
27,1 |
21,3 |
17,3 |
40,8 |
Production d'électricité ou chaleur |
26,4 |
26,9 |
30,3 |
26,2 |
23,5 |
18,9 |
18,8 |
27,4 |
21,7 |
17,8 |
40,5 |
Branche énergie hors transformation |
29,8 |
28,3 |
31,9 |
26,4 |
24,1 |
19,8 |
19,7 |
24,1 |
15,8 |
11,0 |
43,9 |
Consommation finale à usage énergétique TTC** |
42,7 |
47,7 |
49,8 |
48,3 |
48,1 |
44,5 |
44,9 |
48,9 |
50,2 |
46,5 |
46,5 |
Agriculture-pêche |
39,2 |
42,8 |
43,8 |
44,4 |
42,1 |
37,5 |
36,0 |
36,9 |
36,4 |
33,6 |
43,0 |
Industrie |
27,9 |
30,5 |
32,2 |
30,5 |
29,7 |
25,9 |
25,7 |
27,7 |
24,9 |
20,2 |
36,8 |
Tertiaire et transports |
39,0 |
42,8 |
44,0 |
42,7 |
40,3 |
38,0 |
37,3 |
42,2 |
42,6 |
41,0 |
50,2 |
Résidentiel HTVA |
49,4 |
54,6 |
56,9 |
59,3 |
58,9 |
54,8 |
55,7 |
62,6 |
66,9 |
63,8 |
62,9 |
Résidentiel TTC |
58,1 |
64,1 |
67,1 |
69,9 |
69,3 |
64,2 |
65,4 |
72,8 |
78,0 |
74,0 |
73,0 |
Consommation finale à usage non énergétique |
27,4 |
27,2 |
31,1 |
25,9 |
23,0 |
19,8 |
19,4 |
24,1 |
15,8 |
15,8 |
15,8 |
Tous secteurs HTVA |
36,5 |
40,6 |
43,0 |
41,5 |
40,2 |
35,9 |
35,7 |
41,0 |
39,7 |
36,3 |
48,5 |
Tous secteurs TTC** |
39,4 |
44,0 |
46,8 |
45,1 |
43,7 |
39,0 |
38,8 |
44,3 |
43,1 |
39,5 |
51,7 |
* PCS : pouvoir calorifique supérieur.
** La TVA est incluse pour le résidentiel uniquement, car elle est déductible pour les entreprises.
Source : SDES, Bilan de l’énergie, d’après enquête transparence des prix sur le gaz, données locales du gaz
Les prix du gaz sont hétérogènes entre catégories de clients. En général, ils décroissent avec le volume de gaz livré, en raison notamment d’effets d’échelle dans la commercialisation et la gestion du réseau ainsi que d’une fiscalité favorable aux gros consommateurs (figure 1.3.2.2). En 2021, le prix moyen hors TVA s’élève ainsi à 62,9 €/MWh dans le secteur résidentiel, contre 50,2 €/MWh dans le tertiaire, 36,8 €/MWh dans l’industrie et 40,8 €/MWh dans la branche énergie. Le prix moyen dans l’industrie masque lui-même une forte hétérogénéité. Les branches industrielles qui ont peu recours au gaz payent des prix proches de ceux du tertiaire, tandis que les plus gros consommateurs bénéficiaient de prix sensiblement inférieurs jusqu’en 2020. En 2021, les gros consommateurs, plus exposés aux marchés mondiaux du gaz, ont subi des évolutions de prix bien plus importantes que les autres acteurs. Ainsi, dans le secteur de la production d’électricité ou de chaleur, le prix a été multiplié par près de 2,3, passant de 17,8 €/MWh à 40,5 €/MWh. Dans l’industrie, secteur dans lequel se retrouvent aussi de gros consommateurs de gaz, le prix a connu une hausse de 83 %, passant à 36,8 €/MWh. Dans une moindre mesure, les autres secteurs connaissent aussi des hausses importantes du prix du gaz : l’agriculture avec + 28 % et le tertiaire avec + 22 %. Les ménages ont été les seuls acteurs qui en moyenne n’ont pas connu de hausse. Le bouclier tarifaire, avec notamment le gel des tarifs réglementés au 1er novembre 2021, ainsi que l’inertie des prix facturés liée aux formes des contrats en cours ont permis de contenir la hausse des prix du gaz.