1.7 Nette hausse du prix de l'électricité, en particulier pour les entreprises
1.7.1 Prix de gros de l'électricité
L'électricité peut s'échanger de gré à gré ou sur des bourses. Deux bourses opèrent sur le marché français, European Power Exchange (Epex) Spot et Nord Pool Spot, depuis mi-2019. Les produits à terme peuvent, quant à eux, s'échanger sur la bourse European Energy Exchange (EEX) Power Derivatives. Le prix spot de l'électricité livrable en France atteint 279,4 €/MWh en moyenne en 2022, un niveau inédit et largement supérieur à celui observé durant les dix dernières années. Il a été multiplié par 2,6 par rapport à son niveau enregistré en 2021, qui était déjà bien supérieur à son niveau des années précédentes (figure 1.7.1.1). Le niveau record atteint par le prix de l'électricité en 2022 s'explique d'abord par la nette hausse du prix du gaz, combustible utilisé généralement par la dernière centrale électrique européenne appelée en cas de pic de demande d'électricité. L'indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires liée à la détection et à la réparation d'anomalies sur les circuits de refroidissement (cf. 2.2.2) et les difficultés de la production électrique hydraulique ont également exercé une pression haussière sur les cours, notamment en été en entraînant un recours plus important aux centrales à gaz.
Le prix spot a ainsi atteint 493 €/MWh en moyenne en août 2022, soit près de deux fois plus que le point haut observé en décembre 2021, alors qu'il est habituellement plus bas en été. La volatilité du cours journalier a été particulièrement forte, le prix spot ayant atteint 1 130 €/MWh le 26 août 2022. En 2023, les prix de gros de l'électricité demeurent élevés mais refluent, dans le sillage des prix du gaz (cf. 1.3.1).
Les prix à terme de l'électricité, qui reflètent les anticipations des acteurs du secteur, ont également fortement crû. Le prix à terme pour l'année suivante (« Y+1 ») de l'électricité en base est ainsi passé de 95 €/MWh en 2021 en moyenne à 364 €/MWh en 2022. En août, il a atteint 680 €/MWh, un sommet qui atteste de l'inquiétude très marquée des opérateurs.
Figure 1.7.1.1 : prix Baseload moyen mensuel sur le marché European Power Exchange (Epex) Spot France
Source : Epex Spot
La France exporte l'électricité à un prix en moyenne moins élevé que celui auquel elle l'importe. En 2022, ceux-ci s'élèvent respectivement à 233 €/MWh et 308 €/MWh (figure 1.7.1.2). D'une part, le prix à l'importation peut comprendre un coût d'interconnexion (correspondant à une rémunération des gestionnaires de transport de part et d'autre de la frontière) qui est particulièrement important en 2022. D'autre part, le chauffage électrique étant particulièrement développé, la France importe en général en hiver durant les périodes de forte consommation (matinée et début de soirée), lorsque l'électricité est la plus chère. En 2022, la France a également dû importer de l'électricité en été, en raison de difficultés de production, alors que le prix spot était, de façon inhabituelle, à son niveau le plus élevé. Les prix de l'électricité importée et exportée progressent très nettement par rapport à 2021 (ils sont respectivement multipliés par 2,6 et 2,1).
Figure 1.7.1.2 : prix moyens de l'électricité à l'importation et à l'exportation
En €/MWh
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Exportations |
48 |
38 |
30 |
89 |
233 |
Importations |
59 |
47 |
39 |
144 |
308 |
Source : SDES, Bilan de l'énergie, d'après DGDDI
En dehors des marchés de gros et des transactions de gré à gré, certaines productions d'électricité sont vendues à des prix régulés à des fournisseurs ou des intermédiaires.
D'une part, certaines filières, que l'État souhaite développer, bénéficient d'obligations d'achat leur garantissant un tarif défini sur une période de 10 à 20 ans ou de compléments de rémunération. Ces soutiens, établis dans une logique de couverture de coûts, sont très différenciés selon les filières (figure 1.7.1.3). La production photovoltaïque bénéficie de la rémunération moyenne la plus élevée, à 245 €/MWh en 2022. Celle-ci diminue globalement depuis 2018 sous l'effet de l'afflux de nouvelles installations raccordées, qui bénéficient d'aides moins substantielles qu'au démarrage de la filière. Ce moindre soutien reflète la baisse des coûts des installations. À l'opposé, les rémunérations les plus basses concernent la filière d'incinération des déchets ménagers, suivie par la petite hydraulique (les grandes installations hydrauliques ne bénéficiant pas de soutien public) et l'éolien. En 2022, du fait des prix très élevés de l'électricité sur les marchés de gros, des installations qui vendaient auparavant leur électricité dans le cadre des obligations d'achat ont pu résilier leur contrat. En outre, les nouvelles installations ont été autorisées à décaler leur entrée dans le dispositif de soutien (au maximum 18 mois). La part des installations (notamment parmi celles nouvellement raccordées) qui est couverte par ces mécanismes de soutien est de ce fait inférieure à son niveau des années précédentes, en particulier dans la filière photovoltaïque : les obligations d'achat couvrent 94 % de la puissance photovoltaïque en 2022 contre la quasi-totalité les années précédentes.
Figure 1.7.1.3 : rémunérations moyennes des installations en activité bénéficiant d'obligations d'achat ou de compléments de rémunération
En €/MWh
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Photovoltaïque |
300 |
293 |
273 |
232 |
245 |
Éolien |
89 |
90 |
91 |
79 |
103 |
Hydraulique |
77 |
83 |
82 |
79 |
91 |
Biogaz |
154 |
163 |
170 |
167 |
186 |
Incinération |
58 |
60 |
60 |
59 |
61 |
Biomasse |
140 |
146 |
147 |
132 |
152 |
Toutes installations |
145 |
147 |
140 |
143 |
182 |
Note : pour les installations sous obligation d'achat, la rémunération est égale au tarif d'achat. Pour celles bénéficiant d'un complément de rémunération, elle est égale à la somme de ce complément (positif ou négatif) et du prix de gros moyen de l'électricité produite pour les installations. Elle est calculée sur l'ensemble du territoire français pour les filières photovoltaïque, éolienne et hydraulique, et sur la France continentale pour les autres filières.
Source : SDES, Bilan de l'énergie, d'après EAPE, CRE
D'autre part, dans le but de permettre une concurrence équitable entre fournisseur historique et fournisseurs alternatifs, ces derniers bénéficient depuis juillet 2011 du mécanisme de « l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (Arenh), mis en place pour une durée de 15 ans. Ce mécanisme permet aux concurrents d'EDF d'acheter une partie de la production nucléaire au prix de 42 €/MWh. En 2022, compte tenu de la forte hausse des prix de marché, son volume a été augmenté de 20 TWh vendus au prix de 46,2 €/MWh. EDF répercute directement l'Arenh dans ses offres aux entreprises éligibles dans les conditions prévues par le code de l'énergie.
1.7.2 Prix à la consommation de l'électricité
En 2022, la hausse des prix de l'électricité sur le marché de gros se répercute sur les prix de l'électricité pour les consommateurs finaux. L'électricité est payée en moyenne 159 €/MWh, tous consommateurs (à l'exception de la branche électricité) et tous types d'offres (tarifs réglementés ou offres de marché) confondus, contre 140 €/MWh en 2021, soit une augmentation de 14 % sur un an (ce prix inclut la TVA uniquement pour les ménages).
Figure 1.7.2.1 : décomposition du prix moyen de l'électricité
Note : la branche électricité et l'autoconsommation sont exclues du champ. La composante acheminement inclut le coût des pertes sur les réseaux de transport et de distribution. La TVA n'est comptabilisée que pour le résidentiel, étant déductible pour les entreprises. Les chèques énergie et les guichets d'aide ne sont pas inclus.
Source : SDES, Bilan de l'énergie
Le prix comprend une composante « fourniture », une composante « acheminement » et les taxes (figure 1.7.2.1). La composante « fourniture » correspond aux coûts de l'activité de fourniture, soit la somme des coûts d'approvisionnement en électricité et en garanties de capacité, des coûts de commercialisation (incluant les certificats d'énergie) et de la rémunération du fournisseur (marge). Elle s'élève en moyenne en 2022 à 98 €/MWh. C'est la composante qui augmente le plus en 2022 (+ 47 %) dans le contexte de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et de l'augmentation des prix de l'électricité sur le marché de gros. Les prix de la fourniture d'électricité en 2022 atteignent des niveaux inédits après deux années de hausse plus modérée en 2020 et 2021. Afin de répondre à la hausse inédite des prix de gros de l'électricité, le Gouvernement a décidé en mars 2022 l'attribution aux fournisseurs d'électricité de 20 TWh additionnels pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), cette protection a été efficace pour les clients ayant signé un contrat avant septembre 2022.
La composante « acheminement » correspond au tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe). Ce tarif s'applique à tous les utilisateurs raccordés aux réseaux de transport et de distribution en haute et basse tension, quel que soit leur fournisseur d'énergie. Il vise à couvrir les coûts des activités des gestionnaires de réseau de transport (RTE) et de distribution (Enedis, entreprises locales de distribution…), c'est-à-dire les charges du système électrique (dont les pertes réseau) mais aussi les coûts de développement, d'exploitation et d'adaptation à la transition énergétique des réseaux. Le barème du Turpe est réglementé et fixé par la CRE. Le Turpe s'élève à 40 €/MWh en moyenne en 2022 et augmente de 8 % par rapport à 2021, après une hausse de 2,7 % en 2021. Deux facteurs expliquent cette hausse. D'une part, le barème du Turpe a augmenté de 2,28 % au 1er août 2022. D'autre part, les consommations d'électricité ont diminué en 2022 (- 4,2 % entre 2021 et 2022), ce qui se traduit par un renchérissement du Turpe par MWh, le tarif étant dégressif selon la quantité d'électricité consommée.
Les taxes comprennent, outre la TVA, l'accise sur l'électricité, anciennement dénommée TICFE3, la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE) et la contribution tarifaire d'acheminement (CTA). Depuis le 1er janvier 2022, la taxe départementale sur la consommation finale d'électricité (TDCFE) est intégrée à l'accise sur l'électricité. La majoration de l'accise, d'un montant équivalent à la TDCFE, doit être affectée aux départements en fonction de leur niveau de consommation d'électricité. Cependant, une des mesures du bouclier tarifaire mis en œuvre depuis le 1er février 2022 pour contenir la hausse des prix de l'électricité a consisté en l'application d'un taux réduit de l'accise. Les taux d'accise sur l'électricité passent ainsi de 26 €/MWh en moyenne en 2021 à 0,50 €/MWh pour les professionnels et 1 €/MWh pour les particuliers. Cette mesure se traduit par une diminution de 60 % des taxes hors TVA, à un niveau moyen de 10,2 €/MWh en 2022. En incluant la TVA (pour le secteur résidentiel uniquement), les taxes s'élèvent, au total, à 21,3 €/MWh.
3 Depuis 2016, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) a fusionné avec la contribution au service public de l'électricité (CSPE).
Figure 1.7.2.2 : prix moyen de l'électricité par secteur
En €/MWh
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Énergie (hors électricité) |
72 |
74 |
76 |
77 |
78 |
71 |
69 |
74 |
80 |
86 |
96 |
123 |
Consommation finale TTC* |
100 |
104 |
110 |
114 |
119 |
116 |
117 |
120 |
126 |
135 |
141 |
159 |
Agriculture-pêche |
90 |
90 |
92 |
105 |
109 |
112 |
114 |
122 |
128 |
133 |
138 |
154 |
Industrie |
66 |
68 |
71 |
72 |
72 |
66 |
64 |
67 |
71 |
74 |
83 |
113 |
Transports |
54 |
55 |
54 |
54 |
54 |
49 |
47 |
52 |
53 |
66 |
71 |
110 |
Tertiaire |
95 |
97 |
103 |
108 |
112 |
105 |
107 |
108 |
115 |
120 |
126 |
145 |
Résidentiel HTVA |
114 |
118 |
125 |
133 |
138 |
140 |
141 |
146 |
152 |
161 |
165 |
177 |
Résidentiel TTC |
134 |
138 |
147 |
157 |
162 |
165 |
166 |
171 |
178 |
189 |
193 |
207 |
Tous secteurs HTVA |
92 |
96 |
101 |
105 |
109 |
106 |
107 |
110 |
115 |
123 |
129 |
148 |
Tous secteurs TTC* |
99 |
103 |
109 |
114 |
118 |
115 |
116 |
119 |
125 |
134 |
140 |
159 |
* La TVA est incluse uniquement pour le secteur résidentiel, étant déductible pour les entreprises. Les chèques énergie et les guichets d'aide ne sont pas inclus.
Note : la branche électricité et l'autoconsommation sont exclues du champ.
Source : SDES, Bilan de l'énergie
En 2022, les prix de l'électricité augmentent dans tous les secteurs, avec un prix moyen HTVA de 148 €/MWh, en hausse de 14,5 % par rapport à 2021. Les prix de l'électricité varient fortement selon le type de client. Cependant, l'année 2022 est marquée par une réduction des écarts entre « gros » et « petits » consommateurs. En effet, l'avantage dont disposaient les gros consommateurs, notamment dans l'industrie, s'est considérablement réduit (cf. encadré). Ainsi, le prix moyen de l'électricité dans le secteur de l'industrie progresse de 36 % entre 2021 et 2022, à 113 €/MWh, contre 15 % de hausse dans le secteur tertiaire, à 145 €/MWh. En ce qui concerne le secteur résidentiel, les mesures de soutien au pouvoir d'achat mises en place en 2022 (limitation à 4 % de l'augmentation des tarifs réglementés) ont permis de contenir la hausse des prix à 7 %, soit 207 €/MWh TTC en 2022. De plus, les chèques énergie ont allégé la facture pour les ménages les plus modestes. Les autres secteurs ne sont pas épargnés par les hausses avec une augmentation du prix sur un an de 12 % dans l'agriculture, à 154 €/MWh, et de 55 % dans les transports, à 110 €/MWh, les prix étant, dans ce secteur, tirés à la hausse par le transport ferroviaire et les transports en commun urbains et interurbains.
Les écarts de prix entre « petits » et « gros » consommateurs se resserrent |
Les plus gros consommateurs d'électricité sont concentrés dans le secteur industriel. Jusqu'à présent, ces derniers bénéficiaient d'un prix de l'électricité plus faible grâce à une fiscalité favorable aux usages électro-intensifs et à la capacité de négocier les prix directement avec les fournisseurs (voir Les entreprises en France – Édition 2023 – Impact de la hausse des prix de l'énergie en 2022 sur l'activité des entreprises et leur consommation d'énergie – Insee Références). De plus, ces acteurs ont parfois la possibilité de moduler leur consommation, notamment dans les moments de pics de la demande, contrairement aux ménages qui sont contraints de se chauffer lors des périodes de pointe. Cet avantage s'est considérablement réduit ces deux dernières années. En effet, la hausse du prix de gros du gaz et la faible disponibilité du parc nucléaire se sont traduites par une augmentation du prix de gros de l'électricité, affectant directement les filières industrielles électro-intensives. Enfin, les plus gros consommateurs ont des contrats plus souvent indexés sur les évolutions du marché au comptant du moment, alors que les petits consommateurs possèdent plus souvent des contrats à prix fixe qui dépendent des marchés à terme de l'année précédente. Les plus gros consommateurs ont donc été plus sensibles à la forte évolution des prix de gros. L'effet est d'autant plus fort que ces consommateurs bénéficiaient déjà d'un taux d'accise de l'électricité réduit et n'ont profité que partiellement de la réduction de la fiscalité mise en œuvre pour contenir la hausse des prix. Ainsi, en 2022, le prix de l'électricité a augmenté de 36 % par rapport à 2021 pour les acteurs qui consomment plus de 150 GWh, et de 67 % pour ceux qui consomment de 70 à 150 GWh. De fait, ces derniers (de 70 à 150 GWh) ont rattrapé le prix moyen tous niveaux de consommation confondus hors secteur résidentiel, à 130 €/MWh (figure 1.7.2.3). Figure 1.7.2.3 : évolution du prix hors TVA de l'électricité pour les entreprises en France par niveau de consommation Source : SDES, enquête transparence des prix du gaz et de l'électricité Le prix de l'électricité a également augmenté pour les petits consommateurs mais dans une moindre mesure. À l'instar des ménages, les très petites entreprises, éligibles aux tarifs réglementés (21 % des établissements dans le secteur industriel en 2022), ont été partiellement protégées de la hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité par l'application du bouclier tarifaire. D'autre part, la proportion d'entreprises ayant un contrat à prix fixe est plus élevée chez les petits consommateurs. Pour ces dernières, les hausses des prix n'interviennent qu'à la fin du contrat contrairement aux entreprises dont le contrat est directement indexé sur le prix de gros. De ce fait, les prix s'ajustent en moyenne moins rapidement pour les entreprises les moins consommatrices (voir Prix de l'électricité en France et dans l'Union européenne en 2022, Datalab Essentiel, août 2023). |