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La France face aux neuf limites planétaires
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Changement climatique

Une frontière planétaire dépassée

Pour comprendre les mécanismes du changement climatique, ses causes et ses effets, il convient de s'intéresser à un phénomène naturel, l'effet de serre. Certains gaz, comme le dioxyde de carbone ou le méthane, présents naturellement dans l'atmosphère, absorbent une partie du rayonnement thermique infrarouge émis par la surface de la Terre vers l'espace pour contrebalancer l'énergie solaire absorbée. Ces gaz, dits « à effet de serre » (GES), permettent ainsi de maintenir la température de la surface terrestre à 15 °C. Sans cet effet de serre naturel, la température moyenne serait d'environ - 18 °C, ce qui rendrait la planète inhospitalière.

Depuis la révolution industrielle, ce phénomène est bouleversé par l'apparition d'un « effet de serre additionnel » induit par l'influence humaine croissante, responsable en quasi-totalité du changement climatique. Les principaux gaz à effet de serre émis dans l'atmosphère par les activités humaines sont le dioxyde de carbone (CO2) provenant de l'extraction et de l'exploitation de combustibles fossiles (transports, industrie, chauffage) et de la mise en œuvre de procédés industriels (production de ciment, etc.) ; le méthane (CH4) anthropique (voir glossaire) provenant essentiellement de la fermentation entérique des ruminants, de la culture du riz et du traitement des déchets ; le protoxyde d'azote (N2O) dû notamment à l'utilisation d'engrais ou de certains procédés industriels.

Dans le cadre des travaux sur les limites planétaires, les chercheurs ont défini deux variables de contrôle pour appréhender l'évolution du changement climatique : la concentration de CO2 dans l'atmosphère (en partie par million) et l'augmentation du forçage radiatif par rapport à l'ère préindustrielle (en watt par mètre carré) - (tableau 2). Le « forçage radiatif » correspond à un déséquilibre dans le bilan radiatif de la Terre (voir glossaire) induit par la concentration accrue de GES dans l'atmosphère, empêchant une partie du rayonnement infrarouge de partir vers l'espace. Ce déséquilibre est le processus qui induit le réchauffement de l'atmosphère.

Tableau 2 : variables de contrôle et limite planétaire pour le changement climatique

Variables de contrôle

Seuils et zone d'incertitude

Valeurs mondiales

Concentration de CO2 dans l'atmosphère en partie par million (ppm)

350 ppm CO2 (350 - 450 ppm)

425 ppm en avril 2023
379 ppm en 2005
8

Augmentation du forçage radiatif en watt par mètre carré (W/m2) par rapport à l'ère préindustrielle

+ 1,0 W/m2 (+ 1,0 - + 1,5 W/m2)

+ 2,72 W/m2 en 2019
+ 1,66 W/m
2 en 2005

Source : d'après Steffen et al., 2015

8 Giec, 2007. Changements climatiques 2007 : les éléments scientifiques.

Les valeurs présentées ci-dessus montrent un dépassement de la limite planétaire pour le forçage radiatif et une situation limite pour la concentration en CO2 dans l'atmosphère, qui ne cesse d'augmenter depuis l'ère préindustrielle (280 ppm). En 2009, le seuil bas de la zone d'incertitude était déjà dépassé avec 387 ppm. En 20239, avec 425 ppm, la planète se rapproche du seuil haut. Si une telle hausse se poursuit, des risques accrus d'instabilité et de vulnérabilité pourraient concerner de nombreux territoires, et avoir de lourdes incidences sur les conditions de vie des populations et sur les écosystèmes.

9 Agence nationale américaine Earth Systems Research Laboratories (ESRL) – Relevés réalisés sur le site de Mauna Loa (Hawaii, États-Unis).

Conséquences et enjeux

Selon le premier volume du dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec, 202110), « les changements climatiques récents sont généralisés, rapides et ils s'intensifient. Ils sont sans précédent depuis des milliers d'années ». Chaque année, 25 millions de personnes sont confrontées à des catastrophes naturelles plus nombreuses et plus intenses, contraintes de fuir leur pays pour survivre11. L'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud-Est sont les zones géographiques les plus touchées actuellement. Les impacts du dérèglement climatique sont multiples :

  • augmentation de la température à la surface du globe : environ 1,1°C par rapport à 1850-1900 ;
  • élévation du niveau de la mer : de 15 cm à 20 cm depuis le début du XXe siècle ;
  • diminution de la surface de la banquise arctique en septembre : - 40 % depuis 1979 ;
  • fonte des glaciers : sans précédent depuis au moins 2000 ans ;
  • multiplication des événements climatiques extrêmes : vagues de chaleur, précipitations, sécheresses ; conditions météorologiques propices aux incendies, acidification des océans.

10 Giec, août 2021. 6e Rapport Climat – Groupe de travail 1.
11 Banque mondiale, 2021. Rapport Groundswell. Agir face aux migrations climatiques internes.

D'après ses projections, le Giec souligne qu'à cause de la baisse des rendements agricoles dans certaines régions, les sources d'alimentation pourraient manquer et affecter la santé des populations. Les événements climatiques extrêmes, plus fréquents et plus intenses, pourraient conduire au déplacement de 216 millions de migrants d'ici 2050 (Banque mondiale). La fonte des glaciers aura de lourdes conséquences sur les océans, les courants marins et le climat. La montée du niveau de la mer aura des répercussions sur certains fleuves, augmentant les risques d'inondations ou de submersions à leur embouchure. Ces événements auront également de lourdes conséquences sur la biodiversité et les écosystèmes.

La contribution de la france au dépassement de la frontière planétaire

Entre 1850 et 2021, la France a émis 2,3 % des émissions mondiales cumulées de CO2 (hors émissions liées au changement d'affectation des sols). La proportion est faible mais elle identifie néanmoins la responsabilité historique de la France dans l'accumulation de CO2 dans l'atmosphère, à l'origine du réchauffement climatique actuel (graphique 2).

Plus de 75 % du cumul des émissions mondiales de CO2 proviennent des USA (25 %), de l'Union européenne (UE) - (17 %), de la Chine (15 %), de la Russie (7 %), du Royaume-Uni (4 %), du Japon (4 %), de l'Inde (3 %) et du Canada (2 %). Cependant, depuis deux décennies, les émissions de CO2 diminuent aux USA et en Europe, alors qu'elles augmentent dans le reste du monde, et en particulier en Asie. Entre 2000 et 2021, les émissions annuelles de CO2 ont diminué en moyenne de 1,2 % en Europe et de 0,9 % aux USA, contre un taux de croissance moyen de 5,6 % par an en Chine.

Graphique 2 : évolution des émissions historiques cumulées de CO2 par continent et en France

Champ : CO2 issu des combustibles fossiles et du ciment, hors utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie ; hors soutes internationales.
Source : Global Carbon Project. Traitements : SDES, février 2023

Comment se situe la France au regard des émissions contemporaines ?

La frontière planétaire étant dépassée, les émissions mondiales de CO2, diminuées de celles absorbées par les puits de carbone artificiels, devraient être désormais nulles afin de pas ajouter de molécules additionnelles de CO2 dans l'atmosphère. Cette situation où les émissions sont compensées par les absorptions caractérise le concept de « neutralité carbone » (voir glossaire). Si la neutralité carbone était atteinte, la concentration atmosphérique de GES diminuerait progressivement pour se situer en deçà des seuils limites.

Deux approches permettent d'estimer les émissions de GES de la France :

  • L'inventaire national comptabilise les quantités de GES physiquement émises à l'intérieur du pays (approche territoriale). Il constitue le jeu de données officiel retenu pour les politiques climatiques internationales et nationales.
  • L'empreinte carbone est une estimation des GES induits par la demande finale intérieure du pays (consommation finale et investissements). L'empreinte est constituée des émissions nationales (hors émissions liées aux exportations) et des émissions associées aux importations de biens et services consommés par les Français.

En 2021, hors utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie, les émissions de CO2 de la France présentées dans l'inventaire national représentent 0,82 % des émissions mondiales. Selon l'approche empreinte carbone, en tenant compte des émissions importées, cette proportion s'élève à 1,27 %. La contribution annuelle de la France à l'effet de serre est à mettre en perspective avec le poids démographique (0,85 %) et économique (2,33 %) de la France dans le monde.

Dans l'inventaire, les émissions moyennes annuelles de CO2 (hors autres gaz à effet de serre) par habitant de France sont similaires à celles de la moyenne mondiale (4,7 t en 2021). Ainsi, pour 2021, en moyenne, les Français ont contribué autant que les autres habitants du monde au maintien des émissions au-dessus de la frontière planétaire. Dans cette optique, les efforts à produire pour descendre en deçà des seuils limites sont les mêmes en France, qu'en moyenne, dans le reste du monde.

L'approche empreinte carbone accentue la pression climatique relative de la France. L'empreinte carbone moyenne annuelle des Français (CO2 uniquement) est estimée à 7,0 tonnes en 202112. L'empreinte CO2 des Français dépasse de 48 % l'empreinte CO2 moyenne mondiale.

12 Lorsque l'on ajoute au CO2 les deux autres principaux gaz à effet de serre, le CH4 et le N20, l'empreinte carbone moyenne des Français en CO2 équivalent est estimée à 8,9 t/hab. de CO2eq en 2021.

Les politiques et actions en faveur du climat

Depuis l'adoption en 1992 de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, une coordination mondiale visant à lutter contre le changement climatique s'est constituée. En particulier, l'Accord de Paris, conclu en 2015 lors de la conférence de Paris sur les changements climatiques, fixe un objectif de limitation du réchauffement mondial bien en dessous de 2 °C par rapport à l'ère préindustrielle, et de poursuite des efforts pour ne pas dépasser 1,5 °C. Les pays signataires s'engagent à contribuer à cet objectif mondial en définissant des efforts nationaux de réduction des émissions, qui doivent présenter une progression dans le temps.

Au niveau européen, dans le cadre du Pacte vert publié fin 2019, un « paquet climat », c'est-à-dire un ensemble de législations permettant de lutter contre les changements climatiques, a été proposé en 2021. L'objectif de ce paquet, également nommé « Ajustement à l'objectif 55 » ou Fit for 55, est de réduire les émissions de GES d'au moins 55 % d'ici 2030, pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Dans ce cadre, deux mesures importantes ont été actées fin 2022 : l'objectif d'une mobilité routière à émission nulle d'ici à 2035, et la mise en œuvre d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, souvent appelé « taxe carbone aux frontières », permettant d'éviter les fuites de carbone. Ce dernier dispositif imposera aux importateurs de produits fabriqués hors Europe d'acquérir des certificats carbone correspondant au prix du carbone qui aurait été payé si le produit avait été fabriqué dans l'UE.

Le système européen d'échange de quotas d'émissions de GES, aussi appelé « marché du carbone », initié en 2005, est l'un des principaux outils permettant de réduire les émissions de GES. La quantité de quotas d'émissions est déterminée par les autorités publiques, puis les quotas sont distribués aux installations couvertes, qui peuvent les revendre ou en acheter de nouveaux sur un marché. Ces installations doivent ensuite restituer à l'autorité publique la même quantité de quotas d'émissions que d'émissions réelles. Ce marché couvre aujourd'hui près de 45 % des émissions de GES de l'UE (11 000 installations assujetties dans les domaines de la production d'électricité, des réseaux de chaleur, de l'acier, du ciment, du raffinage, du verre, du papier, etc. et depuis 2012, de l'aviation). Le paquet Fit for 55 prévoit de l'étendre à de nouveaux secteurs et de le compléter par un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, permettant de couvrir les émissions de GES des produits importés dans l'UE.

Ces objectifs internationaux sont déclinés dans des outils de programmation français (loi relative à l'énergie et au climat, stratégie nationale bas-carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie).

Au niveau régional, les objectifs de lutte contre le changement climatique sont déclinés dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) – (voir glossaire), les schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) et au niveau intercommunal dans les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Dans les départements d'outre-mer, le document de planification correspondant est le schéma d'aménagement régional (SAR).

Les stratégies, schémas et plans concernent tous les secteurs d'activité. Ils ont vocation à mobiliser les acteurs économiques, sociaux et environnementaux et à lancer des actions, notamment pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, favoriser le changement des systèmes de chauffage vers des systèmes plus efficaces, agir sur l'éclairage public, favoriser une mobilité plus sobre (covoiturage, mobilité douce, reports modaux, télétravail, lutte contre l'étalement urbain, etc.), améliorer les systèmes logistiques territoriaux (circuits courts, etc.), et aider au développement des énergies renouvelables.

Les acteurs privés peuvent également se mobiliser en faveur de la lutte contre le changement climatique, à travers notamment le label bas-carbone, créé en 2019. Ce label permet de certifier des projets de réduction des gaz à effet de serre ou des projets de séquestration de carbone13. Ces projets certifiés peuvent ensuite être financés sur une base volontaire par des organismes privés ou publics, par exemple pour compenser leurs émissions résiduelles.

13 Mi-2022, 168 projets bénéficient du label bas-carbone et représentent plus de 450 000 tonnes de CO2 potentielles (260 000 pour les projets financés), l'objectif étant d'atteindre 1 million de tonnes CO2. Ces projets concernent notamment des projets forestiers (reboisement, boisement sur des terrains non forestiers, transformation de taillis bien venants en futaies) ou des projets agricoles (augmentation du stockage du carbone dans les sols, gestion durable des haies, plantation de vergers).

Où en est la France dans l'atteinte des objectifs politiques internationaux ?

Avec pour objectif l'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050, la politique climatique française, déclinée dans la stratégie nationale bas-carbone, se cale sur la trajectoire d'émissions mondiales permettant de limiter l'augmentation de la température moyenne mondiale d'ici la fin du siècle à + 1,5 °C et de respecter la limite planétaire (concentration en CO2) d'ici la fin du siècle.

Le 6e rapport d'évaluation des travaux scientifiques sur le climat, produit par le Giec, présente les résultats des modélisations climatiques. En tenant compte de la quantité de CO2 déjà émise dans l'atmosphère, les scientifiques estiment les émissions que les activités humaines peuvent encore émettre tout en limitant l'élévation de température à + 1,5 °C ou + 2 °C, à l'horizon 2100 par rapport à l'ère préindustrielle. Ce « budget carbone » (voir glossaire) s'élève respectivement à 400 gigatonnes (Gt) pour + 1,5 °C et 1 150 Gt de CO2 pour + 2 °C (67 % de confiance dans l'estimation).

Dans l'hypothèse d'une répartition strictement égalitaire entre tous les habitants de la planète, du budget carbone qu'il reste à émettre, chaque être humain, et ses éventuels descendants à naître, dispose, pour le restant de ses jours, d'une fourchette située entre 51 t (+ 1,5 °C) et 148 t de CO2 (+ 2 °C) - (graphique 3). Pour la seule année 2021, les émissions moyennes annuelles des Français sont de 4,7 t de CO2 par personne et de 7,0 t de CO2 dans l'approche empreinte (graphique 4). Cette hypothèse d'une répartition strictement égalitaire des budgets carbone n'inclut pas d'éventuelles répartitions intra-générationnelles ou géographiques qui tiendraient compte de l'âge des populations ou des responsabilités historiques de chaque pays.

Graphique 3 : budget CO2 total attribué à chaque être humain en 2021, compatible avec l'Accord de Paris

Graphique 4 : émissions et empreinte moyennes annuelles de CO2 des Français en 2021

Note : le budget carbone du Giec correspond aux émissions de CO2 totales qu'il reste à émettre pour limiter le réchauffement à + 1,5 °C et + 2 °C, réparties équitablement entre tous les êtres humains en 2021.
Champ : émissions de CO2 uniquement, hors utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie.
Sources : Citepa ; SDES ; Giec, AR6 WG août 2021. Traitements : SDES, février 2023

Les scientifiques ont défini des trajectoires de consommation de ces budgets carbone entre 2021 et 2100. Le respect d'une limitation du réchauffement à + 1,5 °C en 2100 impose une neutralité carbone vers 2050 et vers 2075 pour limiter le réchauffement à + 2 °C. La neutralité carbone définit un solde nul entre émissions et stockage par les terres, la forêt ou la technologie.

En tenant compte des prévisions moyennes d'évolution de la population mondiale et des projections de réduction des émissions pour limiter le réchauffement climatique, il est possible d'estimer ce que devraient être les émissions moyennes annuelles jusqu'en 2100. D'ici 2030, dans une perspective de limiter le réchauffement à + 2 °C, les émissions moyennes territoriales devraient diminuer d'environ 42 % et l'empreinte carbone être presque divisée par 2. À l'horizon 2050, l'empreinte carbone moyenne d'un Français devrait diminuer d'un facteur 4 à 5 pour contenir le réchauffement à + 2 °C (graphique 5). Le graphique 5 présente les empreintes GES, alors que les données d'émissions présentées précédemment (graphiques 3 et 4) portent uniquement sur le CO2 (qui représente 75 % de l'ensemble des GES).

Graphique 5 : empreinte GES* moyenne annuelle des Français en 2021 et objectifs estimatifs des émissions** moyennes annuelles par personne dans le monde en 2030 et 2050

* Empreinte GES : CO2, CH4, N2O.
** Objectifs estimatifs des émissions : tous GES.
Champ : émissions de CO2, CH4, N2O pour l'empreinte des Français en 2021, et tous GES pour les objectifs estimatifs des émissions dans le monde en 2030 et 2050.
Sources : Citepa ; SDES ; Giec, AR6 WG3 ; ONU. Traitements : SDES, février 2023

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