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La France face aux neuf limites planétaires
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Changement d'usage des sols

Une déforestation mondiale qui conduit la planète dans une zone d'incertitude

L'usage et l'état des sols ont profondément évolué à travers le temps sous l'effet des activités humaines (agriculture, construction de logements, urbanisation, artificialisation, industrie) avec d'importantes conséquences sur l'environnement à l'échelle planétaire.

Comme le signale l'évaluation globale de l'IPBES de 2019, les changements d'utilisation des sols et les dégradations associées figurent parmi les principales pressions qui pèsent sur la biodiversité terrestre et sur l'ensemble des services écosystémiques (voir glossaire). Si le défrichement des forêts au profit de l'agriculture a fait augmenter la production d'aliments destinés à la consommation humaine ou animale et d'autres biens matériels importants pour les populations (tels que les fibres naturelles), il a dans le même temps fait reculer des contributions telles que la pollinisation, la régulation du climat, la régulation de la qualité de l'eau ou les possibilités d'apprentissage et d'inspiration.

Considérant que la présence de forêt est indispensable à la régulation du climat et des flux d'eau entre terre et atmosphère, les chercheurs ont défini deux variables de contrôle pour appréhender le changement d'usage des sols, et celles-ci concernent directement le couvert forestier. La première porte sur la superficie forestière dans son ensemble et la seconde sur la superficie forestière par biome (voir glossaire).

À l'échelle mondiale, la limite représente le rapport entre la superficie forestière actuelle et la superficie forestière d'avant 1700 (avant interventions humaines fortes sur l'ensemble du globe), dite « originelle » par les chercheurs du Stockholm Resilience Centre. Au niveau des trois principaux biomes de la forêt (forêts tempérées, tropicales et boréales), la limite correspond au rapport entre la superficie qu'ils occupent aujourd'hui et celle qu'ils occupaient avant 1700 (tableau 5).

Tableau 5 : variables de contrôle et limite planétaire pour le changement d'usage des sols

Variables de contrôle

Seuils et zones d'incertitude

Valeurs mondiales

Échelle mondiale : rapport entre la superficie forestière actuelle et la superficie forestière « originelle » (avant 1700)

75 % de la superficie forestière « originelle » doit rester boisée (frontière) et ne pas passer sous 54 % (limite).

62 % de la superficie forestière « originelle » sont encore des forêts.

Par biome forestier : rapport entre la superficie forestière actuelle du biome et la superficie forestière « originelle » du biome (avant 1700)

Forêts tempérées : 50 % de la superficie forestière « originelle » doit rester boisée (frontière) et ne pas passer sous 30 % (limite).

Forêts tropicales et boréales : 85 % de la superficie forestière « originelle » doit rester boisée (frontière) et ne pas passer sous 60 % (limite).

50 % des forêts tempérées « originelles » sont encore boisées.

68 % des forêts tropicales et boréales « originelles » sont encore boisées.

Source : d'après Steffen et al., 2015

Les valeurs présentées ci-dessus montrent que seules 62 % des surfaces forestières d'avant 1700 sont encore boisées dans le monde en 2015, la frontière planétaire de 75 % est donc largement dépassée, tout en restant dans la zone d'incertitude. Concernant les forêts tempérées, 50 % de la superficie occupée par celles-ci avant 1700 est toujours présente en 2015, on se situe donc à la limite basse de la zone d'incertitude (entre 50 et 30 %). Le chiffre global de 50 % peut néanmoins cacher des disparités locales avec des menaces fortes pour la biodiversité et les écosystèmes en certains points.

Depuis 1990, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), environ 420 millions d'hectares (Mha) de forêts ont été perdus à cause de la déforestation. Même si le taux annuel de déforestation tend à diminuer, il représente encore 10 Mha/an de forêts sur la période 2015-2020, contre 12 Mha/an sur la période 2010-2015 (FAO, 2020).

Plus globalement, selon la FAO, en 2022, les forêts occupent 31 % de la superficie terrestre mondiale (4,06 milliards d'hectares). Les forêts tropicales représentent 45 % de l'ensemble des forêts, devant les forêts boréales, tempérées et sous-tropicales. Les forêts primaires (forêts vierges de toute intervention humaine) couvrent 1,11 milliard d'hectares. Depuis 1990, leur superficie a diminué de 81 Mha.

Causes et enjeux

La production agricole et l'élevage représentent la première cause de déforestation à l'échelle mondiale, et un tiers de cette production est destiné à l'export (soja, huile de palme, bœuf et ses coproduits, cacao, hévéa, bois et produits dérivés). Le commerce international est ainsi l'un des principaux déterminants de la déforestation mondiale.

Les déforestations réalisées entre 2000 et 2018 sont liées à l'extension des cultures (49,6 %), à l'extension des pâturages (38,46 %), à l'urbanisation et au développement des infrastructures (6,16 %), ainsi qu'à d'autres causes comme les mines (5,78 %). À lui seul, le palmier à huile a causé 7 % de la déforestation mondiale sur cette même période (FAO, 2021) - (graphique 14).

Graphique 14 : causes mondiales de la déforestation sur la période 2000-2018

Source : FAO, 2021

Globalement, d'après l'OCDE, entre 1960 et 2010, pour répondre aux besoins d'une population mondiale qui a plus que doublé, la production alimentaire a plus que triplé, avec une augmentation de 15 % des surfaces agricoles et une intensification des modes de production (mécanisation, utilisation d'engrais de synthèse et de produits phytopharmaceutiques, amélioration variétale, irrigation).

La disparition d'une forêt ou son remplacement par des plantations en monoculture conduit directement à une perte de biodiversité. En effet, la forêt abrite plus de 80 % des espèces d'animaux, de plantes et d‘insectes que compte la planète (FAO, 2020).

La disparition de forêts est également préjudiciable au maintien des capacités de stockage du CO2 de certaines forêts et à leur rôle de puits de carbone (voir glossaire). C'est le cas des forêts tropicales et en particulier de la forêt amazonienne brésilienne. Sous l'effet du changement climatique, ces forêts rejettent maintenant plus de carbone qu'elles n'en absorbent (Qin, 2021).

Entre déforestation, changement climatique et dégradations multiples, la forêt amazonienne est victime d'une perte de biodiversité importante qui entraîne une perturbation de la mésofaune (voir glossaire). Elle souffre également d'une sécheresse accrue risquant de favoriser des départs de feux et d'augmenter sa vulnérabilité (Boulton, 2022).

La contribution de la france au dépassement de la limite planétaire

Sur le territoire français, la surface forestière augmente, d'environ 80 000 ha par an (IGN). Elle était de 17 Mha en 2020, contre 16,2 Mha en 2010. En revanche, les terres agricoles régressent de 65 900 ha/an depuis 1982, notamment sous l'effet de l'artificialisation des sols (+ 57 600 ha/an depuis 1982) - (SSP, 2021).

Malgré cette diminution de la surface agricole, la France reste exportatrice nette de matières premières agricoles (Solagro, 2022), mais elle consomme également et donc importe des quantités importantes de matières premières agricoles et forestières qui ne sont pas produites sur le territoire national. Elle utilise ainsi indirectement des terres situées dans d'autres régions du monde, dont certaines sont issues de la déforestation des forêts tropicales, et contribue à exercer une forte pression sur la ressource foncière étrangère.

L'UE serait responsable d'environ 10 % de la déforestation mondiale via sa consommation selon la FAO (2016). D'après le WWF, 16 % de la déforestation associée au commerce international est imputable à l'UE. Pour Pendrill et al., la déforestation liée au commerce international représenterait 26 % de la déforestation totale.

À l'échelle française, plusieurs études ont cherché à estimer les surfaces agricoles et forestières nécessaires pour produire nos biens de consommation. La plupart de ces travaux utilisent la comptabilité des flux de matières en trois étapes :

  • analyse des quantités de biens importés en France et estimation de leur origine concernant le pays de production ;
  • détermination de la surface de terres utilisées pour produire ces biens, dite « empreinte terre » ;
  • estimation de la surface déforestée pour cultiver ces terres, dite « empreinte forêt ».

L'empreinte terre

Si les choix méthodologiques – comme les commodités prises en compte dans l'analyse – ont une influence certaine sur les résultats obtenus, les ordres de grandeur des surfaces mobilisées hors de nos frontières sont cohérents, pour ce qui concerne l'empreinte terre, et s'établissent entre 12 et 14,8 Mha/an (Solagro, 2021).

L'empreinte forêt

Lier la surface agricole nécessaire aux biens importés à une surface déforestée est un exercice encore plus délicat. La mesure de la déforestation est une problématique complexe qui dépend de nombreux choix méthodologiques parmi lesquels :

  • la définition de la forêt en fonction d'un seuil de couvert forestier, alors qu'il existe des forêts avec une grande densité d'arbres et d'autres avec un couvert plus clairsemé ;
  • la date à partir de laquelle considérer la forêt comme déboisée ;
  • le fait de considérer une déforestation nette, en déduisant les plantations forestières sans regarder les caractéristiques d'âge et de qualité de la forêt, ou une déforestation brute en mettant l'accent sur la perte de forêts primaires.

Les paramètres choisis ont une influence forte sur le résultat. Les travaux de l'UICN21 situent à 9,8 m2 par habitant et par an la déforestation associée aux importations de la France sur la période 2010-2015 et ceux du WWF (2021) autour de 4 m2 par habitant et par an en moyenne entre 2005 et 2017 (ce qui donne, pour la France, respectivement 64 400 et 26 300 ha par an).

Alors que le seuil bas de la limite planétaire relative au changement d'usage des sols par la déforestation est déjà dépassé, notre consommation de biens importés (soja, huile de palme, cacao, bœuf et cuirs, hévéa, bois, etc.) contribue à atteindre le seuil haut de la limite. Ainsi, si tous les humains avaient une empreinte forêt identique à celle d'un Français, le seuil haut de la limite (40 % de la superficie « originelle » des forêts tropicales et boréales détruites) serait également dépassé dans une soixantaine d'années22.

21 Mittempergher D., Vergez A. et Puydarrieux P. (article soumis, en révision). Commerce international et déforestation: méthode et calcul d'une empreinte déforestation des Nations. Revue d'économie du développement.
22 Hypothèses prises : le seuil haut de la limite dépassé pour une déforestation supplémentaire de 344 millions d'hectares de forêts tropicales et boréales, une empreinte forêt moyenne par habitant et par an de 6,9 m2 de forêt tropicale, une population mondiale constante de 7,9 Md d'habitants.

Les politiques et actions pour limiter la déforestation et protéger les sols

Pour faire face aux menaces pesant sur la biodiversité et parvenir à stocker le carbone, notamment par les sols et la végétation, la lutte contre la dégradation des forêts et la déforestation constitue une priorité internationale, qui transparaît notamment dans l'Objectif de développement durable n° 15.223. À l'occasion de la COP26 sur le climat, en novembre 2021, 100 pays abritant plus de 85 % de la forêt mondiale, dont le Brésil, le Canada, la Russie, la République démocratique du Congo, se sont engagés à mettre fin à la déforestation d'ici 2030.

Afin de limiter l'impact de sa consommation sur les forêts tropicales, la Commission européenne a proposé en novembre 2021 un règlement sur la déforestation importée, qui a été définitivement adopté en mai 2023. Ce règlement vise à interdire la mise sur le marché européen ou l'exportation à partir de celui-ci de matières premières et de produits ayant engendré de la déforestation ou de la dégradation des forêts. Pour cela, un système de diligence raisonnée obligatoire sera mis en place : il incombera aux entreprises concernées par le règlement de collecter certaines informations, notamment l'origine, et de remonter la chaîne d'approvisionnement jusqu'à la parcelle de production de leur produit. Ces informations doivent permettre de conclure qu'il existe un risque de déforestation nul ou négligeable sur cette parcelle et de prouver qu'aucune forêt n'y a été déboisée depuis 2020.

La France s'était saisie de la problématique de la déforestation importée dès 2018 en publiant une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI)24. Cette stratégie vise à éliminer d'ici 2030 l'importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation dans les filières du cacao, de l'hévéa, du soja, de l'huile de palme, du bois et ses produits dérivés, et du bœuf et ses coproduits. Dans ce cadre, deux outils ont déjà été élaborés : un outil d'évaluation des risques de déforestation liés aux importations de soja et un guide relatif à la déforestation dans la politique d'achat public. Des initiatives privées sont également encouragées comme celle pour un cacao durable ou le manifeste soja.

Concernant sa propre forêt (métropolitaine ou en outre-mer et notamment en Guyane), la France dispose d'un outil très protecteur avec un Code forestier qui encadre la gestion forestière pour que celle-ci soit conduite de façon durable et multifonctionnelle. Ainsi, tout défrichement de plus de 0,5 ou 4 ha doit faire l'objet d'une demande d'autorisation et d'une mesure compensatoire.

Au-delà de la forêt, l'enjeu en France est de limiter au maximum la perte de terre par artificialisation. Cela s'est traduit dans le plan biodiversité de 2018 par un objectif de « zéro artificialisation nette », l'artificialisation étant définie comme « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage »25. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a fixé l'objectif de diminuer de moitié le rythme de consommation du foncier d'ici 2031 pour amorcer la trajectoire de « zéro artificialisation nette » à l'horizon 2050. Celui-ci sera décliné localement dans les documents de planification à l'échelle des schémas de cohérence territoriale (SCoT) en 2026 et des PLU/PLUi et cartes communales en 2027.

23 ODD n° 15.2 : d'ici à 2020, promouvoir la gestion durable de tous les types de forêt, mettre un terme à la déforestation, restaurer les forêts dégradées et accroître considérablement le boisement et le reboisement au niveau mondial.
24 Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.
25 Portail interministériel de l'artificialisation des sols.

Pour aller plus loin