datalab
La France face aux neuf limites planétaires
lang

Acidification des océans

UNE FRONTIÈRE PLANÉTAIRE AUJOURD'HUI NON DÉPASSÉE, MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ?

L'océan est au cœur des enjeux du climat et de la biodiversité. Il est considéré, au même titre que la forêt, comme le « poumon » de la Terre. En effet, il produit plus de 50 % de l'oxygène que nous respirons et absorbe environ 25 % du dioxyde de carbone (CO2) présent dans l'atmosphère. Il représente ainsi un important puits de carbone et joue un rôle majeur dans la régulation du climat. Cependant, depuis la révolution industrielle, l'augmentation du niveau de CO2 émis dans l'atmosphère par les activités humaines (environ 40 %) perturbe les équilibres biogéochimiques des océans avec de lourdes conséquences sur les écosystèmes et la biodiversité marine.

À mesure que le CO2 atmosphérique se dissout au contact de l'océan, une série de réactions chimiques se produit. En particulier, de l'acide carbonique se forme et des ions hydrogène (H+) sont libérés, ce qui réduit le potentiel hydrogène (pH) – (voir glossaire) de l'eau de mer. On parle alors « d'acidification des océans ». Les ions hydrogènes libérés se combinent ensuite avec des ions carbonate (voir glossaire) pour former du bicarbonate, ce qui réduit la quantité d'ions carbonate à la disposition de nombreux organismes marins (coquillages, coraux, mollusques, planctons) pour fabriquer leur coquille ou leur squelette calcaire, en aragonite ou en calcite.

Depuis le début de la révolution industrielle, le pH moyen des eaux de surface de l'océan est passé de 8,2 à 8,129. L'échelle pH étant logarithmique, cette diminution en apparence modérée (- 0,1) s'est traduite dans les faits par une hausse de 30 % de l'acidité des océans depuis l'ère préindustrielle.

Dans le cadre des travaux sur les limites planétaires, les scientifiques ont retenu comme variable de contrôle « l'état de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite » (Ω), l'une des formes de carbonate de calcium (CaCO3) produites par les organismes marins. La limite planétaire fixée correspond à 80 % en moyenne de l'état de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite de l'ère préindustrielle (Ω = 3,44 en 1850). Lorsque l'état de saturation est inférieur à 1, cela signifie que l'eau de mer est sous-saturée et qu'elle peut devenir corrosive pour les coquilles calcaires et pour la plupart des systèmes coralliens (tableau 8).

29 Le pH de l'océan étant supérieur à 7, l'océan est basique. Mais la diminution du pH indique qu'il est moins basique et on parle alors d'acidification.

Tableau 8 : variable de contrôle et limite planétaire pour l'acidification des océans

Variable de contrôle

Seuil et zone d'incertitude

Valeur mondiale

État de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite (% de la valeur préindustrielle) - (Ω)

80 % en moyenne de l'état de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite lors de l'ère préindustrielle (Ω = 3,44 en 1850) - (≥ 80 - ≥ 70 %)

84 % de la valeur préindustrielle

 = 2,9)

Source : d'après Steffen et al., 2015

En 2015, l'état de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite est estimé à 84 % (Ω = 2,9) du niveau préindustriel (Ω = 3,44), soit en deçà de la frontière planétaire. En poursuivant au même rythme jusqu'en 2050, il pourrait atteindre 2,80, soit environ 80 % du niveau préindustriel. Ce taux de saturation évolue avec les émissions en CO2, mais également avec la température et la fonte des glaciers.

Conséquences et enjeux

L'acidification des océans est préjudiciable à plusieurs titres. Elle perturbe le développement d'une partie du plancton marin, comme les coccolithophores, dont le squelette calcaire est sensible à l'acidité du milieu. Pour les mêmes raisons, elle affecte également le développement et la survie des coraux. Le plancton marin et les coraux sont à la base de nombreux écosystèmes marins dont les populations humaines sont fortement dépendantes. La disparition des récifs coralliens pourrait ainsi compromettre la protection du littoral contre les tempêtes, le développement de la faune aquatique30 et de ce fait, l'approvisionnement en nourriture d'une partie importante de la population planétaire, ainsi que le tourisme et les loisirs sous-marins.

Au niveau mondial, plus d'un milliard de personnes tirent des bénéfices directs des récifs coralliens. L'initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) estime à 1,3 Md€ la valeur annuelle des services écosystémiques associés aux récifs coralliens, aux écosystèmes associés, mangroves et herbiers, dans les territoires français d'outre-mer.

30 Les récifs coralliens couvrent moins de 1 % de la surface des océans, mais abritent un tiers des espèces marines connues.

Le Giec élabore des projections regroupées en quatre trajectoires possibles, appelées « scénarios RCP » (voir glossaire), pour le XXIe siècle et au-delà, en fonction du profil d'évolution des émissions. D'après le scénario des émissions élevées de CO2 (RCP 8,5), si la hausse des émissions de CO2 se poursuit au même rythme, le pH de surface de l'océan pourrait diminuer de 0,3 unité pH avant la fin du siècle, conduisant à un pH voisin de 7,7 d'ici à 2100. De plus, le degré de saturation d'aragonite pourrait être inférieur à 3 dans les eaux de surface autour des récifs tropicaux d'ici à 2100. Plus précisément, en Antarctique, 60 % des eaux de surface pourraient devenir corrosives pour les organismes dont la coquille est constituée à partir d'aragonite, comme les ptéropodes. Certaines régions de l'Arctique sont déjà corrosives pour certaines espèces marines et la plupart le seront dans quelques décennies.

Plus généralement, alors que l'océan fait l'objet de multiples pressions (réchauffement, acidification, désoxygénation, élévation du niveau de la mer, surpêche, pollution, eutrophisation), un enjeu important est de parvenir à appréhender la capacité des organismes marins à s'adapter à ces conditions défavorables, en particulier sur de longues périodes. Bien que l'état des connaissances s'améliore, les données manquent encore dans ce domaine, d'autant que l'ampleur des changements survenus dans l'océan est récente. Au-delà des effets en chaîne sur le monde vivant, l'acidification des océans est en passe de réduire fortement ses capacités de séquestration du carbone, avec des risques d'aggravation du changement climatique dans les décennies à venir.

Les politiques et actions en faveur de la préservation des océans

La cause première de l'acidification des océans étant l'augmentation des émissions de CO2 et le réchauffement des océans, toutes les actions qui permettront de limiter nos émissions de gaz à effet de serre ne peuvent être que bénéfiques. Celles-ci sont décrites dans la limite « changement climatique ».

Au-delà de ces actions, il est également possible d'atténuer les conséquences de l'acidification sur les écosystèmes marins, en réduisant les autres pressions affectant le développement et la survie des coraux, comme la pollution, les perturbations physiques, ou la surexploitation.

Au niveau mondial, la Convention sur la diversité biologique (CDB ou CBD - Convention on Biological Diversity) adoptée à l'issue de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (le « Sommet de la Terre » de Rio) en 1992, insistait sur le rôle primordial des écosystèmes marins pour la planète. À l'occasion de la 15e réunion des Parties de la CDB en décembre 2022, l'Initiative internationale pour les récifs coralliens – un partenariat mondial comptant 93 membres, dont des gouvernements, des groupes de la société civile et des entreprises du secteur privé – a porté une recommandation visant à reconnaître les récifs coralliens comme des écosystèmes gravement menacés et à leur accorder la priorité dans le nouveau cadre mondial pour la biodiversité. Cette recommandation s'est notamment traduite par l'inclusion d'indicateurs de suivi des récifs coralliens dans le dispositif de rapportage du cadre mondial.

En 2020, les Nations unies ont lancé la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) et la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes. Les campagnes de communication et de financement associées ont pour but de contribuer à protéger les océans grâce aux progrès scientifiques et de restaurer les écosystèmes dégradés de la planète.

En France, les efforts de protection des récifs coralliens sont coordonnés par les ministères chargés de l'Environnement et des Outre-mer, qui s'appuient sur les travaux de l'Ifrecor. L'Ifrecor permet en particulier de coordonner les actions de l'ensemble des territoires français, et notamment des territoires ultramarins disposant d'une compétence propre en matière de protection de l'environnement (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, et Saint-Barthélémy).

La France est le quatrième pays corallien au monde, et porte à ce titre une grande responsabilité quant à la préservation de ces écosystèmes. En conséquence, l'ambition nationale en matière de protection des récifs coralliens s'est peu à peu renforcée :

  • En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité fixe un objectif de protection de 75 % des récifs coralliens ultramarins d'ici 2021.
  • En 2018, le plan biodiversité propose de protéger 100 % des écosystèmes coralliens français d'ici 2025, avec un objectif intermédiaire de protection de 75 % d'ici 2021.
  • En 2019, le Comité interministériel de la mer adopte le plan national d'action pour la protection des récifs coralliens d'outre-mer.
  • En 2021, la stratégie nationale des aires protégées propose d'inclure 100 % des récifs coralliens dans une aire protégée d'ici 2025.
  • En 2022, la troisième stratégie nationale pour la biodiversité propose de renforcer le plan national d'action pour la protection des récifs coralliens d'outre-mer.

En 2022, 67 % des récifs coralliens sont effectivement protégés. Le parc naturel de la mer de Corail, créé en 2014 par la Nouvelle-Calédonie, s'étend à lui seul sur une superficie de 1,3 million de km2 et constitue ainsi l'une des plus vastes aires marines protégées au monde. En protégeant 41 % des récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie, il contribue significativement à l'objectif de protection de 100 % des récifs coralliens d'ici 2025. En particulier, le parc a créé en 2018 de vastes zones de protection forte sur plus de 28 000 km2, qui couvrent essentiellement des zones de récifs abritant une biodiversité marine remarquable.

En métropole, cette ambition se traduit aussi par un ensemble d'actions prévues dans les documents stratégiques de façade, adoptés en 2022. Par exemple, la façade méditerranéenne prévoit de « renforcer les connaissances relatives à l'état écologique du corail rouge en Méditerranée et assurer, si nécessaire, sa préservation », ou encore de « renforcer la prise en compte de la sensibilité des habitats profonds en Méditerranée », notamment en réglementant les pratiques de pêche au niveau des récifs.

Des initiatives citoyennes contribuent également à la protection des écosystèmes coralliens. C'est notamment le cas de la plateforme de financement participatif « SOS Corail », soutenue par l'Ifrecor et le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui recueille et distribue des dons de particuliers pour des projets de protection des récifs coralliens.

Pour aller plus loin