Partie 1
Les limites : perspective historique et cadre général
Cette première partie présente l’origine et le cadre général du concept des limites planétaires, proposé en 2009 par une équipe internationale de chercheurs réunis autour du Stockholm Resilience Centre. Les limites planétaires s’inscrivent dans la continuité du rapport Meadows Les limites à la croissance, paru en 1972 et considéré comme l’un des premiers textes majeurs alertant sur les conséquences destructrices pour la planète d’une croissance économique illimitée dans un monde aux ressources finies. Le cadre conceptuel des limites planétaires vise à définir un « espace de fonctionnement sûr pour l’humanité » qui repose sur l’évolution de neuf phénomènes complexes et interconnectés. Les contours de ce cadre évolutif sont ici définis et présentés dans sa version de 2015. Les possibilités de déclinaison de ce cadre à une échelle plus petite sont ensuite questionnées.
Les limites à la croissance
Le concept des limites planétaires (Rockström et al., 2009) n'est pas la première tentative menée pour éclairer l'impact des activités humaines sur l'environnement et le bien-être humain. Plusieurs décennies auparavant déjà, en 1972, à la demande du Club de Rome, un groupe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, réunis autour du professeur Dennis Meadows, publiait un rapport resté célèbre, The Limits to Growth (Les limites à la croissance), également connu sous l'appellation Rapport Meadows ou Rapport du Club de Rome. Parce qu'il a marqué de son empreinte le mouvement environnemental (Vieille Blanchard, 2011) et suscité de nombreux débats ayant permis d'éclairer en partie le positionnement adopté dans l'élaboration des limites planétaires, ce rapport, première initiative historique, mérite que l'on s'y attarde.
Publié il y a cinquante ans, le rapport Les limites à la croissance est l'un des premiers textes à alerter sur les conséquences destructrices pour la planète d'une croissance illimitée dans un monde aux ressources finies. Ce rapport vise à expliquer que le dépassement des limites physiques du système Terre aura une influence importante sur le développement mondial d'ici les cent prochaines années.
À l'aide de modélisations informatiques inédites pour l'époque (premiers ordinateurs), Dennis Meadows et son équipe représentent le système Terre à partir de quelques variables décrivant la population mondiale, la croissance industrielle, la production alimentaire, la consommation de ressources naturelles et la pollution (voir glossaire).
Plusieurs dizaines de relations lient les évolutions de ces variables entre elles. Appelées « boucles de rétroaction », ce sont des chaînes de relations de cause à effet susceptibles d'entraîner un changement ou d'avoir un effet stabilisant. On parle de « boucle de rétroaction positive » lorsqu'une chaîne de réactions amplifie un phénomène et de « boucle de rétroaction négative » lorsqu'elle tend à réguler un phénomène ou à le ramener à un état stable.
Le modèle de Meadows identifie ainsi la croissance de la pollution qui influe de manière négative sur l'espérance de vie, et donc sur la taille de la population, ce qui en retour agit dans le sens d'une pollution moins importante ; la croissance du produit industriel par tête contribue à la croissance du capital industriel, qui lui-même engendre une augmentation de la production agricole, mais aussi de la pollution, etc. Chaque boucle correspond à une relation causale qui peut être linéaire (c'est-à-dire que l'effet est proportionnel à la cause) ou non linéaire, c'est-à-dire s'exercer de manière immédiate ou différée, être positive ou négative, et sujette ou non à des effets de seuil.
À partir de ces modélisations, les scientifiques ont identifié douze scénarios possibles pour le XXIe siècle et en ont tiré les principales conclusions suivantes :
- Si les tendances actuelles de croissance se poursuivent, les limites physiques de la planète seront atteintes au cours des cent prochaines années. Cela pourrait conduire à un déclin soudain et non-contrôlé des systèmes et du bien-être humain.
- Il est encore possible de modifier ces tendances de croissance et d'établir des conditions de stabilité écologique et économique qui soient durables sur le long terme.
- Plus vite les populations mondiales se mobiliseront pour atteindre cette stabilité écologique et économique, plus grandes seront leurs chances d'y parvenir.
Le graphique 1 illustre le scénario 1 considéré comme point de départ et élément de comparaison. Ce scénario décrit le « probable mode de comportement général du système ». La moitié gauche du graphique montre une évolution des courbes jusqu'en 2000 : la population mondiale et la production industrielle augmentent, puis leur croissance est stoppée par des ressources non renouvelables de plus en plus inaccessibles. Au tournant du XXIe siècle, la pollution augmente, la production industrielle décline par manque de ressources. La hausse du coût des ressources non renouvelables se répercute alors sur tous les secteurs économiques, et notamment sur le secteur de la production agricole.
Graphique 1 : scénario 1, un point de repère – État du monde
Source : Dennis L. Meadows et al, 1972. Les limites à la croissance, traduction de The Limits to Growth. New-York: Universe Books
Lors de son actualisation en 1992 puis en 2004, le rapport tire les mêmes conclusions qu'en 1972, confirmant l'impact destructeur des activités humaines sur les ressources naturelles et sur la pollution générale de la planète. D'autres études montreront par la suite qu'il existe de fortes similarités entre le premier scénario établi en 1972 et l'évolution du « monde réel » (Turner, 2008).
Les limites à la croissance ont ainsi permis de passer de discours environnementaux axés sur les pollutions locales, à un discours englobant l'ensemble des problématiques environnementales à une échelle planétaire.
L'empreinte écologique
En 1996, Mathis Wackernagel et William Rees5 mettent au point un nouvel indicateur appelé « empreinte écologique » (voir glossaire) pour mesurer la pression exercée sur les ressources naturelles par les activités humaines, plus précisément par la consommation de biens et services d'une population : alimentation, transport, logement, services. L'empreinte écologique estime les surfaces biologiquement productives nécessaires pour régénérer les ressources naturelles utilisées, et assimiler les déchets générés (typiquement, absorber les émissions de gaz à effet de serre). Ces surfaces sont comptabilisées en hectares globaux (hag). Depuis 2003, l'empreinte écologique est calculée par le Global Footprint Network (GFN).
Cette empreinte peut alors être comparée à la surface productive réellement disponible (voir glossaire). Lorsque l'empreinte mondiale dépasse la biocapacité de la planète, cela signifie que pour satisfaire la consommation de tous les hommes, la totalité des ressources naturelles produites par la Terre en une année ne suffisent pas et qu'il est nécessaire de puiser dans le « capital naturel ». On parle alors de « dépassement écologique » ou de « déficit écologique » — ce qui rejoint la notion de limite planétaire.
Le « jour du dépassement » fixé par le GFN correspond à la date à partir de laquelle l'humanité a consommé l'ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en une année. Si l'empreinte écologique fait l'objet de diverses critiques d'ordre méthodologique6, cet indicateur, très communiquant, présente l'intérêt de mettre en évidence le rôle des modes de consommation dans l'épuisement des ressources de la planète et de pouvoir être décliné par pays. Ainsi, si en 1999, le jour du dépassement mondial avait été calculé au 29 septembre, il est intervenu le 28 juillet en 2022, soit deux mois plus tôt. En France, le jour du dépassement est intervenu le 5 mai en 2022.
5 Mathis Wackernagel et William Rees, 1999. Notre empreinte écologique. Éditions Écosociété.
6 Global Footprint Network, 2020. Ecological Footprint Accounting: Limitations and Criticism.
Les limites planétaires
Dans la continuité des travaux entrepris par Dennis Meadows et son équipe, et afin de susciter une prise de conscience accrue des risques de changements brusques globaux de l'environnement, une nouvelle approche a vu le jour en 2009 : le concept des limites planétaires (Rockström et al.). Ce concept définit un « espace de fonctionnement sûr pour l'humanité » qui repose sur le suivi de l'évolution de neuf phénomènes complexes et interconnectés : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, le changement d'usage des sols, l'utilisation de l'eau douce, l'acidification des océans, l'appauvrissement de l'ozone stratosphérique, l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère. Ce concept s'attache à décrire et à observer le système Terre, et non les facteurs socio-économiques à l'origine de son évolution. Le dépassement des limites de « fonctionnement sûr » pour chacun de ces phénomènes peut provoquer des transformations en chaîne, potentiellement irréversibles, et déstabiliser l'équilibre planétaire, jusqu'à rendre la planète invivable pour l'homme.
En se concentrant sur les processus physiques, climatiques, biogéochimiques et écologiques de la planète (carbone, azote, phosphore, biodiversité, eau, sols), le cadrage des limites planétaires vise à :
- s'extraire du débat sur les limites à la croissance ancré autour de deux visions, celle du « pessimisme des contraintes liées aux ressources », et celle de « l'optimisme du progrès technologique » conduisant à ne proposer que deux modèles d'action possibles pour le futur : limiter l'exploitation des ressources, ou favoriser l'innovation technologique ;
- « tendre vers l'estimation d'un espace sûr pour le développement humain ». Une multiplicité de chemins est alors possible dans cet espace de vie préservé pour l'humanité, dans lequel la croissance économique peut également trouver sa place ;
- « définir de manière plus précise des valeurs seuils associées à chacun des processus naturels ».
Le cadre des limites planétaires représente un changement stratégique par rapport au cadre des limites à la croissance, dans la mesure où les seuils critiques pris en compte « existent, indépendamment des préférences des humains, de leurs valeurs ou des compromis fondés sur une faisabilité politique et socio-économique, comme les attentes liées à des ruptures technologiques et les fluctuations de la croissance économique » (Folke, 2019).
Quelques définitions propres au cadre des limites planétaires
Pour étudier l'évolution des neuf processus biophysiques permettant d'estimer les contours d'un espace de vie préservé pour l'humanité, le cadre des limites planétaires utilise différentes notions qu'il convient de définir pour mieux en appréhender les enjeux : variable de contrôle, seuil, frontière planétaire, limite planétaire.
Une « variable de contrôle » est un indicateur défini à l'échelle globale pour mesurer l'évolution de chacun des neuf processus. Certains processus peuvent faire l'objet de deux variables de contrôle pour appréhender de manière plus fine les enjeux biophysiques ou territoriaux qui les caractérisent. Par exemple, le processus « Utilisation mondiale de l'eau » est représenté, à l'échelle globale, par les prélèvements d'eau douce ; à l'échelle locale, par les prélèvements d'eau dans les bassins-versants et selon le régime hydrologique saisonnier.
Pour chacune des variables de contrôle, les chercheurs ont fixé un « seuil » critique à ne pas dépasser (point de bascule) pour garantir la stabilité du système Terre tel qu'on le connaît actuellement. Face à la complexité de l'exercice, ils ont défini une zone d'incertitude constituée de deux valeurs : une valeur basse (« frontière planétaire ») et une valeur haute (« limite planétaire »). La frontière représente la zone de danger qui précède la limite au-delà de laquelle les écosystèmes pourraient basculer dans un état inconnu et probablement défavorable à l'homme.
Par exemple, pour le processus « changement climatique », la variable de contrôle correspond à la « concentration de CO2 dans l'atmosphère » pour laquelle une zone d'incertitude a été définie, située entre 350 ppm (frontière) et 450 ppm (limite).
Selon l'évolution de la variable de contrôle, le processus biophysique est susceptible d'être modifié et d'avoir des répercussions sur le fonctionnement du système terrestre. Certains processus peuvent avoir des effets directs à l'échelle planétaire, tandis que d'autres ont des impacts principalement locaux mais peuvent devenir globaux dans un second temps.
Un cadre conceptuel en évolution
La révision du cadre des limites planétaires (Steffen et al., 2015) conduit à la conclusion que deux frontières planétaires sont franchies (changement climatique, changement d'usage des sols), ainsi que deux limites planétaires (érosion de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore).
D'après les deux études fondatrices du cadre des limites planétaires (Rockström et al. 2009, Steffen et al. 2015), la responsabilité des activités humaines dans le dépassement des limites est majeure. Elle illustre le passage de l'Holocène à l'Anthropocène, nouvelle ère géologique au cours de laquelle l'homme serait devenu le principal moteur des changements qui affectent les équilibres naturels de la planète avec une ampleur sans précédent.
Depuis 2015, les chercheurs tentent de définir comment caractériser ou préciser certaines limites. En 2021, une nouvelle étude (Personn et al.) constate le dépassement d'une cinquième limite : l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère, et en particulier de produits chimiques de synthèse.
En 2022, une autre étude scientifique (Wang-Erlandsson et al.) annonce le franchissement d'une sixième frontière : la ressource en eau, et plus particulièrement, « l'eau verte », nouvelle variable prise en compte pour la première fois dans l'approche des limites planétaires (schéma 1).
En septembre 2023, une nouvelle publication du Stockholm Resilience Centre présente une version révisée du cadre des neuf limites planétaires (Richardson et al.). De nouvelles variables sont définies pour certaines limites (biodiversité fonctionnelle, eau bleue, aérosols dans l’atmosphère, entités nouvelles) et des valeurs sont actualisées. Pour la première fois, les neuf limites planétaires sont quantifiées, six des neuf limites étant considérées dépassées. Cette actualisation étant intervenue après la finalisation de cette publication, elle n’a pas pu être prise en compte ici. Une comparaison rapide entre les variables et les valeurs utilisées dans le présent document (celles connues début 2023) et celles de la publication de septembre du Stockholm Resilience Centre est toutefois proposée en annexe.
Des limites planétaires présentées séparément mais qui interagissent
Lors de la conception du cadre des limites planétaires, les scientifiques ont fait le choix de traiter les différentes problématiques séparément, en silo, tout en soulignant les nombreuses interactions qui existent entre elles. Ainsi, les limites planétaires forment un système complexe qu'il convient d'appréhender de manière globale et transversale. Cela revient à relier les problématiques entre elles, pour mieux étudier, dans un système, les causes d'un problème, et les conséquences qu'il peut avoir sur un autre système. L'exemple du CO2 est particulièrement significatif. Il s'agit d'un indicateur du changement climatique, mais son augmentation dans l'atmosphère a un impact fort sur l'acidification des océans ou sur l'érosion de la biodiversité, par exemple.
Une approche planétaire avant tout
Le cadre des limites planétaires porte sur le système Terre et considère la planète dans sa globalité, fondée sur neuf processus biophysiques qui la maintiennent dans un état d'équilibre. Ce cadre comporte néanmoins des essais de territorialisation pour prendre en compte les enjeux locaux et être plus proche de la réalité. Lors de la révision du modèle en 2015, les auteurs ont complété la grille d'analyse avec des variables géographiques spécifiques selon les territoires. Dans le cas de la limite « changement d'usage des sols » par exemple, ils ont distingué la situation des forêts tempérées de celles des forêts tropicales ou boréales.
Les auteurs soulignent également que le cadre des limites planétaires n'est pas conçu pour être décliné à des niveaux plus petits, comme les pays ou les collectivités locales (Steffen et al., 2015). Toutefois, ils reconnaissent que c'est à l'échelle locale que l'action politique se produit le plus souvent. Ils conviennent de l'intérêt d'une approche intégrée qui associe la définition de limites aux niveaux régional et mondial à des objectifs de développement, pour permettre l'application de la « pensée limites planétaires » au niveau local.
Schéma 1 : les neuf limites planétaires du cadre de 2015 actualisé en 2022
Sources : Steffen et al., 2015 ; Personn et al., 2021 ; Wang-Erlandsson et al., 2022
Le cadre d'analyse des limites planétaires constitue alors un nouveau référentiel pour les États, un outil méthodologique structurant de gouvernance de l'environnement. Il permet d'offrir une vision globale d'un système complexe avec des processus qui interagissent, à différentes échelles. C'est un cadre conceptuel évolutif, que les chercheurs s'emploient à ajuster et à définir continuellement au gré des données collectées.
Application des limites planétaires à une échelle infra-planétaire et principes d'allocation
Plusieurs pays7 ont fait l'exercice d'appliquer le cadre des limites planétaires à une échelle infra-planétaire. Compte tenu des disparités économiques, sociales et écologiques des pays, les travaux ont consisté à définir des parts nationales pour déterminer l'espace de fonctionnement sûr au sein des pays. Les limites planétaires sont alors interprétées comme des budgets globaux alloués chaque année aux pays sur la base de principes d'allocation.
Six modes d'allocation sont envisageables, basés sur six principes : l'égalité, les besoins, le droit au développement, la souveraineté, la capacité, la responsabilité. Les principes « égalité », « besoins » et « droit au développement » font généralement référence aux personnes, tandis que « souveraineté », « capacité » et « responsabilité » sont discutées au niveau des pays.
7 Suède (Eriksson L., 2022), Suisse (Dao et al., 2015, 2018), Union européenne (Hoff et al., 2014).
Ces modes d'allocation peuvent se combiner avec une approche des pressions sous l'angle de la production ou de la consommation. Dans le cas de la consommation, on parlera d'une approche « empreinte » (tableau 1). L'empreinte vise à rendre compte des pressions environnementales induites dans un pays tiers pour satisfaire la demande finale de biens et services du pays, via les importations.
Par exemple, à l'instar d'autres empreintes (carbone, eau, forêt, etc.), « l'empreinte matières » permet de décrire l'ensemble des matières premières mobilisées pour satisfaire la consommation finale d'un pays. Les résultats reflètent de manière plus précise l'impact réel de l'utilisation des ressources, tant celles extraites du territoire national que celles mobilisées à l'étranger pour produire et transporter les produits importés.
Tableau 1 : approche territoriale versus « empreinte » (ou consommation)
* Pressions environnementales liées à la production, à l'utilisation et à la mise en décharge.
Source : Hy Dao et al., 2018. National environmental limits and footprints based on the Planetary Boundaries framework: The case of Switzerland, Global Environmental Change, volume 52, pp. 49-57
Plusieurs publications analysent l'impact d'un mode d'allocation par rapport à un autre sur les seuils à fixer au niveau d'un pays (Lucas et al., 2020). Dans la partie 2 de cette publication, lorsqu'une approche territoriale au niveau français est possible, la contribution française est analysée au regard de la limite planétaire allouée de façon égalitaire (avec un raisonnement par nombre d'habitants) ou de façon souveraine (en proportion de notre territoire).
De nombreuses publications proposent également des méthodes « d'évaluation absolue de la soutenabilité environnementale » (Absolute Environmental Sustainability Assessment - AESA) qui visent à évaluer la durabilité d'une activité donnée (service, produit, entreprise) ou d'un territoire, en s'appuyant notamment sur l'utilisation du cadre des limites planétaires. Selon l'approche AESA retenue, elle nécessite de choisir des principes de partage pour répartir les impacts environnementaux planétaires entre différentes activités humaines. Cette approche est détaillée dans la partie 3 de cette publication.
Des frontières sûres et justes pour le système Terre |
En juin 2023, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs réunie autour de la « Commission de la Terre » (Earth Commission) publie une nouvelle étude : « Des frontières sûres et justes pour le système Terre » (Safe and just Earth system boundaries - ESB) - (Rockström et al., 2023). Considérant que la stabilité du système Terre et le bien-être humain sont indissociables, les chercheurs proposent un nouveau modèle fondé sur la définition de seuils de sécurité et de justice, à l'échelle mondiale et régionale, pour les domaines suivants : le climat, les écosystèmes naturels, l'intégrité fonctionnelle de la biosphère, les eaux de surface, les eaux souterraines, l'azote, le phosphore, les aérosols. Ces seuils visent à préserver l'équilibre du système Terre en évitant le franchissement de points de basculement, et à limiter l'exposition des populations à des dommages significatifs, en respectant la justice entre les espèces, entre les générations, et, au sein d'une même génération, entre les pays, les communautés et les individus. Cette nouvelle analyse s'appuie en partie sur des travaux précédemment menés, notamment en lien avec le cadre des limites planétaires (Planetary boundaries – PB), en reprenant la notion de limites biophysiques « sûres » (Rockström et al., 2009). Dans l'analyse de 2023, les auteurs font le choix d'abandonner certaines limites trop difficiles à quantifier (acidification des océans, ozone stratosphérique et entités nouvelles). Inversement, ils détaillent la limite « eau » en introduisant le sujet des eaux souterraines. La limite sur l'usage des sols n'est pas reprise en tant que telle, mais ses enjeux sont réintégrés dans la limite relative à l'intégrité fonctionnelle de la biosphère. Au total, les huit limites retenues par les chercheurs permettent de fixer plus facilement des cibles mondiales et locales pour s'assurer que les conditions d'habitabilité sûres et justes sont respectées. |
Pour aller plus loin
- Boutaud, A., Gondran N., 2020. Les limites planétaires, collection Repères, Éditions La Découverte.
- DAO, H. et al., 2018. National environmental limits and footprints based on the Planetary Boundaries framework: The case of Switzerland, Global Environmental Change, volume 52, pp. 49-57.
- European Commission. Consumption Footprint Platform | EPLCA.
- Folke, C., 2019. The Planetary Boundaries Framework: How It All Come About. Royal Swedish Academy of Sciences, October 1.
- Lucas, P. et al., 2020. Allocating planetary boundaries to large economies: Distributional consequences of alternative perspectives on distributive fairness. Global Environmental Change 60 (2020) 102017.
- Meadows, D. et al., 1972. The Limits to Growth - A Report for the Club de Rome's Project on the Predicament of Mankind. New York: Universe Books.
- Meadows, D. et al., 2004. The Limits to Growth: The 30-Year Update. Reprint. London: Earthscan.
- Personn, L. et al., 2021. Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities. Environmental Science & Technology 2022 56 (3), 1510-1521.
- Richardson, K. et al., 2023. Earth beyond six of nine planetary boundaries. Sciences Advances. Vol. 9, Issue 37.
- Rockström, J. et al., 2023. Safe and just Earth system boundaries. Nature, 1476-4687
- Rockström, J. et al., 2009. Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity. Ecology and Society 14 (2): art32.
- Steffen, W. et al., 2015. Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet. Science 347 (6223): 1259855–55.
- Turner, G., 2008. A Comparison of The Limits to Growth with 30 Years of Reality. Global Environmental Change, Globalisation and Environmental Governance: Is Another World Possible? 18 (3): 397-411.
- Vieille Blanchard, Élodie. 2011. Les Limites à la croissance dans un monde global – Modélisations, prospectives, réfutations. Doctorat en sciences sociales, École des hautes études en sciences sociales.
- Wang-Erlandsson, L. et al., 2022. A planetary boundary for green water. Nature Reviews Earth & Environment.