Partie 3
Quelles utilisations du cadre des limites planétaires à l’échelle locale ?
Cette troisième partie s’intéresse à l’usage qui peut être fait du cadre des limites planétaires à d’autres échelles. Même si ce cadre n’a pas été originellement conçu pour être décliné à des niveaux plus fins, il peut néanmoins se révéler comme un cadre de référence utile pour appréhender l’impact sur l’environnement au sens large, de territoires ou d’activités spécifiques, dans une perspective de développement durable. Deux exemples d’application sont présentés ici : l’un porte sur le portefeuille de produits agroalimentaires d’une entreprise de la grande distribution ; l’autre sur un territoire, celui du schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Sud-Loire.
Limites planétaires et « descente d'échelle »
La proposition originale des limites planétaires porte sur « le système Terre » et considère la planète dans son entièreté. Selon ses auteurs, « le cadre des limites planétaires n'est pas conçu pour être réduit à l'échelle ou désagrégé à des niveaux plus petits, tels que les nations ou les communautés locales » (Steffen et al., 2015). C'est cependant à l'échelle nationale ou locale que l'action politique se produit le plus souvent.
Plusieurs travaux visent ainsi à traduire la « pensée limites planétaires » en un jeu d'indicateurs faisant écho aux limites planétaires, mais pertinents au niveau local, et parfois mis en lien avec les objectifs de développement durable. La question de la « descente d'échelle » du cadre des limites planétaires, tant au niveau des territoires que d'activités spécifiques, fait l'objet de plusieurs centaines de publications scientifiques depuis 2015.
Un premier groupe de publications, particulièrement fourni, propose des méthodes « d'évaluation absolue de la soutenabilité environnementale » (Absolute Environmental Sustainability Assesment - AESA) qui visent à combiner analyse de cycle de vie et limites planétaires pour évaluer la soutenabilité d'une activité donnée (service, produit, ou entreprise, par exemple).
Un second groupe de publications vise à appliquer le cadre des limites planétaires au niveau territorial.
Cette partie décrit dans un premier temps les méthodes d'évaluation absolue de la soutenabilité environnementale, avec une illustration sur le portefeuille alimentaire d'une entreprise de la grande distribution. Dans un second temps, l'application du cadre des limites planétaires à un territoire est présentée à travers l'exemple du territoire du sud du département de la Loire.
L'analyse du cycle de vie (ACV) |
L'analyse de cycle de vie est une méthode d'évaluation environnementale qui estime les impacts environnementaux potentiels d'un système (un produit ou un service), assurant une (ou plusieurs) fonction(s), tout au long de son cycle de vie (« du berceau à la tombe »). Cela permet de représenter les pressions générées par les différentes phases du système étudié (fabrication, utilisation, fin de vie) et d'identifier les éventuels transferts d'impacts entre phases ou entre impacts environnementaux. |
Les méthodes d'évaluation de la durabilité environnementale absolue
Les méthodes d'évaluation environnementale absolue (AESA) ont pour objectif d'évaluer si une activité de production ou de consommation donnée est écologiquement soutenable en comparant ses pressions environnementales, estimées par l'analyse de cycle de vie, à une « capacité de charge acceptable » qui peut être assignée à l'activité étudiée, généralement sur la base du cadre des limites planétaires (Bjørn et al., 2020). Plusieurs méthodes sont actuellement développées à cette fin (schéma 2).
La capacité de charge acceptable peut être définie comme l'impact maximum qu'un écosystème peut supporter sans subir une atteinte inacceptable de son intégrité fonctionnelle ou, pour l'utilisation de ressources non renouvelables, comme le rythme auquel des substituts renouvelables peuvent être développés (Bjørn et al., 2020).
Schéma 2 : cadre de la méthode d'évaluation absolue de la durabilité environnementale
Source : Bjørn et al., 2019
Les méthodes diffèrent par leurs choix d'indicateurs. Certaines se basent sur les indicateurs d'impacts environnementaux recommandés par la Commission européenne (European Commission, 2010) et déterminent des valeurs de référence qui peuvent être définies comme la « charge environnementale acceptable » qui permettrait de respecter les limites planétaires si toutes les activités humaines appliquaient cette même charge maximale. Cette approche a été proposée par Bjørn et Hauschild (2015) et a été appliquée depuis à de nombreux domaines liés aux activités de production et de consommation, dont la consommation des ménages de l'UE (Sala et al., 2020).
Il apparaît ainsi que la consommation européenne n'est pas soutenable pour plusieurs indicateurs tels que le changement climatique et le changement d'occupation des sols (Sala et al., 2020). Il ne s'agit pas seulement de dire que les consommations finales des Européens génèrent des pressions sur les écosystèmes planétaires, mais de quantifier le niveau de ces pressions par rapport à la capacité maximale des écosystèmes à supporter ces pressions.
Une autre approche consiste à comparer les impacts environnementaux générés par un système donné à la « part de l'espace de fonctionnement sûr » (Share of Space Operating Space – SoSOS) qui peut lui être assignée (Ryberg et al., 2018). Il faut ainsi définir de nouveaux « facteurs de caractérisation » des impacts afin de pouvoir directement comparer les impacts estimés à la part de l'espace de fonctionnement sûr qui peut être attribuée au système étudié. Cette méthode exprime ainsi directement les résultats des analyses de cycle de vie dans les métriques des variables de contrôle des limites planétaires définies par Steffen et al. (2015).
Quelle que soit l'approche AESA, elle nécessite de choisir des principes de partage pour répartir les impacts planétaires entre les différentes activités humaines. Le choix du principe de partage repose sur divers choix éthiques qui doivent être clairement documentés et communiqués. Pour présenter des résultats plus robustes, les études AESA peuvent tester et présenter les résultats en utilisant plusieurs choix de principes de partage (schéma 3).
Schéma 3 : processus proposé de descente d'échelle
Source : d'après Hjalsted et al., 2021
Le principe de partage |
Le principe de partage est un ratio qui alloue une quantité globale de « budget écologique acceptable » à une échelle inférieure, qui peut être un individu, une entreprise, un territoire, etc. Le choix de ce principe peut être apprécié d'un point de vue technique et éthique. Techniquement, il s'agit de déterminer des variables socio-économiques qui soient à la fois disponibles aux échelles globales et locales, et qui soient jugées corrélées à la variable environnementale étudiée. Par exemple, le ratio qui rapporte la population locale d'un territoire à la population mondiale est souvent retenu pour une allocation des limites planétaires à un système territorial car il répond aux deux critères techniques : les données de population sont disponibles aux deux échelles, locale et globale, et plus la population d'un territoire est élevée, plus ses pressions augmentent (sans que l'augmentation ne soit nécessairement proportionnelle). Autre exemple, pour un système industriel, on estimera que la part du secteur économique auquel appartient ce système dans la valeur ajoutée générée par l'ensemble des secteurs est un bon proxy pour qualifier le poids de ce système dans l'offre économique (du côté de la demande, on pourra utiliser la ventilation des dépenses finales de consommation par secteur économique). Il est également possible d'utiliser plusieurs ratios successivement. Outre le choix de la variable à retenir pour l'allocation, se pose la question du principe de justice qui sous-tend l'utilisation d'un tel ratio (Ryberg et al., 2020). La majorité des publications ont recours à un principe d'égalitarisme : la dotation des sous-systèmes est proportionnelle à leur poids dans la variable d'allocation retenue (pour les pays, leur population par exemple). D'autres principes sont parfois utilisés, comme l'équité, qui consiste à favoriser davantage les plus démunis dans l'allocation de la capacité de charge globale (par exemple, pour pénaliser les pays responsables des émissions historiques de gaz à effet de serre, des quotas moins que proportionnels à leur taille leur sont attribués). |
Un exemple d'application au portefeuille de produits agroalimentaires d'une entreprise de la grande distribution
Le cadre des limites planétaires a été mobilisé par exemple pour estimer les pressions exercées par la production des produits agricoles, allant de l'extraction des matières premières mobilisées à la sortie de ferme (c'est-à-dire sans prendre en compte la préparation industrielle des produits vendus). Les produits agricoles analysés ici sont les produits alimentaires sortant des entrepôts d'une entreprise de grande distribution, sur une période d'un an (Wolff et al., 2017) - (graphique 18).
Graphique 18 : identification des pressions exercées à des niveaux insoutenables par la production agricole des produits alimentaires vendus par le distributeur
Source : d'après Wolff et al., 2017
Le graphique 18 représente les impacts environnementaux liés à la production, à la sortie de la ferme, des matières premières qui composent l'ensemble des produits alimentaires vendus en un an par une entreprise de la grande distribution. Les barres bleues représentent les impacts estimés pour un « panier alimentaire annuel moyen », ramené au « budget écologique maximal » qui peut être attribué à chaque personne pour respecter collectivement la frontière planétaire. Le trait noir vertical représente la marge d'incertitude associée à l'estimation de ces impacts. Le pointillé rouge représente le budget écologique total pouvant être considéré comme « acceptable » en 2018, pour respecter les limites planétaires si tous les habitants de la planète rejetaient les mêmes quantités d'émissions.
Une barre bleue supérieure à 100 % (comme pour le changement climatique, par exemple) signifie que la fabrication des ressources agricoles mobilisées pour fabriquer les produits alimentaires vendus dépassent le « budget » d'émissions (ou la capacité de charge maximale) par personne qui permettrait de respecter les limites planétaires.
Ce « budget écologique » devant servir non seulement à se nourrir mais aussi à se loger, se déplacer..., il est intéressant d'essayer d'approcher le « budget écologique » des consommateurs qui peut être attribué à l'alimentation. Pour cela, figure également la part de l'agriculture dans les émissions passées, pour chaque catégorie d'impacts, représentée par les traits horizontaux en orange (les différents traits correspondent aux valeurs minimales et maximales de différentes sources de données possibles). Il apparaît ainsi que pour le changement climatique, l'eutrophisation et l'utilisation de l'eau douce, les pressions générées par la production agricole du « panier alimentaire annuel moyen » dépassent largement le « budget écologique » des consommateurs qui peut être attribué à l'alimentation.
L'application du cadre des limites planétaires à un territoire : l'exemple du scot sud-loire
Le territoire est un autre objet d'application intéressant, en tant qu'arène où se prennent des décisions pouvant impacter notre capacité à respecter ou non, les limites planétaires (choix d'aménagement du territoire, rénovation thermique des logements, incitations économiques et industrielles, par exemple).
Epures, l'agence d'urbanisme de la région stéphanoise, s'est ainsi intéressée à la territorialisation du cadre des limites planétaires à l'échelle du schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Sud-Loire. Ce territoire se compose de quatre établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : Saint-Étienne Métropole, la Communauté de communes des Monts du Pilat, la Communauté d'agglomération Loire-Forez-Agglomération et la Communauté de communes de Forez-Est, représentant ainsi 198 communes et 600 000 habitants, pour une surface de 300 000 hectares.
Un territoire peut être considéré comme une « étendue sur laquelle vit un groupe humain » (Paquot, 2011). Cette double identité a son importance pour l'évaluation environnementale. « L'étendue » est un espace relativement bien défini administrativement, mais qui peut être amené à évoluer lors de modifications administratives (ajout ou retrait de communes dans le périmètre du SCoT, par exemple).
Cet espace présente une certaine vulnérabilité face aux changements planétaires qui ne sont pas répartis uniformément dans le monde. La territorialisation du cadre des limites planétaires peut donc porter sur l'identification de cette vulnérabilité. Le groupe humain qui vit sur le territoire considéré exerce quant à lui des activités qui génèrent des impacts contribuant à l'atteinte des limites planétaires. La territorialisation de ces limites à l'échelle d'un territoire peut ainsi consister à estimer la contribution du territoire à l'atteinte des limites planétaires pour identifier les enjeux environnementaux et alerter les décideurs locaux afin d'y répondre au mieux dans les politiques qu'ils ont en charge.
C'est principalement ce deuxième axe qui a été envisagé dans le cadre de l'étude exploratoire, menée conjointement par Epures, le SCoT Sud-Loire et Mines Saint-Étienne (Epures, 2021).
Ce travail a nécessité :
- d'une part, de décliner les seuils exprimés à l'échelle planétaire à une échelle locale : soit en exploitant directement les indicateurs utilisés par le cadre original des limites planétaires (Steffen et al., 2015), soit en s'appuyant sur les indicateurs développés par d'autres travaux de territorialisation à des échelles locales (souvent nationales) ;
- d'autre part, de recueillir les données locales permettant de quantifier les pressions et les capacités de charge : selon la limite considérée (associée à un phénomène écologique), la capacité de charge peut correspondre (1) à une part de la capacité de charge globale ou (2) à un seuil de vulnérabilité propre au fonctionnement local des écosystèmes. Le système local d'observation environnementale n'étant pour l'instant pas orienté sur la mesure des capacités de charge locales, c'est la modalité (1) qui a été retenue.
La contribution des impacts des activités humaines menées sur le territoire a été estimée au regard de huit limites planétaires (la limite « entités nouvelles » n'ayant pas encore été quantifiée au niveau planétaire au moment de l'étude). Une représentation a été proposée en vue de montrer si la contribution du territoire permet de rester dans « l'espace de fonctionnement sécurisé » ou si, au contraire, le territoire contribue à un dépassement de la frontière.
La démarche peut être illustrée par le traitement de la limite relative à la perturbation du cycle de l'azote.
Un problème environnemental est une chaîne causale qui peut s'observer à chacun de ses maillons : les activités humaines (drivers) génèrent des pressions (pressures) qui entraînent un état de dégradation environnementale (state) se traduisant par des vulnérabilités locales (impacts) et appelant in fine des actions qui portent sur les activités concernées (responses)37. Pour ce qui est de l'azote, l'état de dégradation peut être exprimé par la manifestation d'épisodes d'eutrophisation, et la pression principale en est l'apport excessif d'engrais aux sols agricoles (en partie fixés par les cultures, mais l'excès est emporté dans les réservoirs d'eau douce par ruissellement).
Des épisodes d'eutrophisation des milieux aquatiques sont fréquemment observés sur le territoire du Sud-Loire, mais ils ne font pas l'objet d'un suivi officiel, ni de mesures systématiques là où le problème émerge. Le relevé des niveaux de concentration en nitrates et phosphates des cours d'eau est en effet seulement évalué sur des critères de potabilité et non des critères de qualité écologique. Si les problèmes d'eutrophisation chronique sur le territoire traduisent bien le dépassement local des capacités de charge hydrologiques, les connaissances manquent sur ce que les hydrosystèmes locaux sont capables de supporter. La charge maximale que les hydrosystèmes sont capables d'admettre dépend en effet de l'hydromorphologie (vitesse et débit d'écoulement) et de l'hydrogéologie du cours d'eau (nature du lit et des interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines), propres à chaque site.
L'absence de données précises justifie de ne pas considérer, pour la détermination de cette limite, l'état environnemental local, et de privilégier les pressions exercées sur le territoire par l'apport de fertilisants.
Le graphique 19 illustre la représentation proposée pour les émissions d'azote dans les eaux douces, associées à l'usage en agriculture de fertilisants minéraux (engrais et amendements de synthèse) et organiques (fumier, lisier) ainsi que de cultures permettant une fixation symbiotique (légumineuses, par exemple). Ces émissions ont été estimées avec le modèle CASSIS-N proposé par le département Géosciences de l'Université de Tours (Poisvert et al., 2016).
37 Cette chaîne causale est connue sous l'acronyme anglo-saxon de DPSIR.
Graphique 19 : représentation de l'intensité de perturbation du cycle de l'azote dans le SCoT Sud-Loire
Note de lecture : les apports annuels (pour l'année 2018) en azote fixé symbiotiquement (par les cultures de légumineuses notamment) s'élèvent à 13 kg par hectare, et les apports par intrants chimiques (azote dit minéral) contribuent à hauteur de 26 kg par hectare, ces chiffres étant estimés à partir des types de cultures présents en Sud-Loire. Le cadre des limites planétaires de 2015 n'inclut pas les apports organiques, car ils sont jugés négligeables par rapport aux apports symbiotiques et minéraux à l'échelle du globe. Leur prise en compte sur le territoire du Sud-Loire est cependant déterminante pour comprendre les surcharges azotées dans l'environnement local, en particulier le système hydrographique qui souffre d'eutrophisation par endroit. En prenant en compte cet apport organique dominant sur le territoire, et qui s'explique par un système cultural principalement tourné vers l'élevage, le territoire dépasse la zone d'incertitude associée à la limite locale sur le cycle de l'azote.
Source : modèle CASSIS-N avec données du RPG 2018
L'apport en azote sur le territoire est détaillé pour chaque source d'intrant : la fertilisation minérale correspond aux apports réalisés à partir de produits chimiques commerciaux, la fertilisation symbiotique est apportée par les cultures capables de synthétiser l'azote (e.g. les légumineuses), et la fertilisation organique provient de la réutilisation des lisiers et composts.
Les auteurs du cadre des limites planétaires recommandent de se concentrer sur les apports minéraux et symbiotiques, majoritaires à l'échelle globale et plus facilement estimables en général (pour estimer les apports de fertilisants organiques, il est nécessaire de connaître la taille et la nature des cheptels). La spécificité du système agricole sud-ligérien, dans lequel l'élevage est très présent, se traduit toutefois par un apport principal en fertilisants organiques (issus des excréments animaliers). Ainsi, même en supprimant l'utilisation de fertilisants minéraux et la culture de plantes à fixation symbiotique, l'apport en fertilisants organiques est tel que le territoire du Sud-Loire pourrait continuer à contribuer au niveau dangereux de la limite planétaire sur l'azote et le phosphore.
D'autres pressions conduisant à l'eutrophisation pourraient être prises en compte, comme la hausse des températures, liée au changement climatique, ou les autres sources de pollution à l'azote et au phosphore (eaux usées de l'industrie et des logements, bien qu'abattues en stations d'épuration). De plus, le réseau hydrographique du territoire ne s'arrête pas à ses limites administratives, de telle sorte que les pressions du territoire administratif ne sont pas les seules à contribuer à l'état de dégradation aquatique, les apports de fertilisants par le bassin-versant de la Loire amont (Ardèche et Haute-Loire) jouant également un rôle important, de même que le territoire du Sud-Loire contribue aux pressions de la Loire aval (Saône-et-Loire, Allier).
Le seuil maximal admissible par les sols agricoles du territoire a ainsi été défini en attribuant au territoire une part du seuil global proportionnelle à l'importance de la superficie agricole du territoire dans la superficie agricole globale (il s'agit donc d'une allocation de la capacité de charge globale selon un principe de partage, et non d'une limite écologiquement et localement construite). Les pressions ont pour leur part été évaluées par des modèles agronomiques estimant l'apport d'azote en fonction des types de cultures sur le territoire.
En définitive, l'exercice présente une dimension pédagogique en permettant de disposer de point de comparaison (à partir des pressions exercées par un territoire donné) ; il permet également de mettre en exergue certaines insuffisances des systèmes locaux d'observation environnementale en proposant un cadre d'observation plus transversal, complémentaire aux indicateurs traditionnellement suivis à l'échelle locale. Il montre également l'intérêt de réorienter le système d'observation du suivi de la qualité des eaux vers une mesure conjointe des pressions (concentrations en nitrates et phosphates) et des capacités de charge pour disposer d'indicateurs de soutenabilité absolue territorialisés.
Le tableau 12 présente le bilan proposé pour les différentes limites sur le territoire. Plus que les résultats de l'évaluation (ceux-ci méritant d'être approfondis et confirmés), c'est le cadre ainsi proposé et la mise en évidence de la fiabilité des données pouvant être mobilisées pour faire l'exercice qui constituent les principaux intérêts de cette première étude exploratoire.
Tableau 12 : bilan des différentes limites planétaires à l'échelle mondiale et du SCoT Sud-Loire et de la qualité du système d'observation local
Source : Epures, Mines Saint-Etienne, 2021. Quelle participation du Sud Loire à l'atteinte des limites planétaires ?
Remarquons enfin que certaines limites planétaires peuvent sembler proches de ce qui est déjà pris en compte dans les politiques environnementales portées au niveau local. Toutefois, si l'objet étudié (eau, biodiversité, changement climatique, par exemple) est souvent similaire, l'approche est généralement différente.
La limite « changement climatique » est sans doute la limite la plus proche des objectifs déjà portés par le plan climat-air-énergie territorial (PCAET). En effet, ce plan vise à décliner la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), laquelle s'appuie sur un objectif de neutralité carbone conforme aux Accords de Paris, avec lequel le cadre des limites planétaires est lui aussi conforme.
En revanche, les objectifs des autres politiques environnementales locales sont plus éloignés de la démarche « limites planétaires ». Par exemple, au titre de la biodiversité, les contrats de corridors écologiques définis sur le territoire Sud-Loire consistent à restaurer ou maintenir des continuités spatiales entre « espaces naturels ». L'objectif s'appuie donc sur les réservoirs et continuités existants et non pas sur les capacités de charge écosystémiques (approche limites planétaires). Or, maintenir un certain niveau de continuité ne garantit pas que le territoire ne dépasse pas sa contribution maximale à la perte de richesse et d'abondance des espèces à l'échelle globale.
En définitive, l'application à l'échelle locale du cadre des limites planétaires peut présenter des perspectives intéressantes, tant en matière de recherche que d'aide à la décision. Même si elle suppose de nombreuses hypothèses pour décliner un cadre d'analyse initialement conçu au niveau mondial, elle peut favoriser une prise de conscience plus précise et transversale de l'impact des décisions prises au niveau local sur les impacts globaux et « le système Terre ».
Pour aller plus loin
- Bjørn, A., Chandrakumar, C., Boulay, A.-M., Doka, G., Fang, K., Gondran, N., Hauschild, M.Z., Kerkhof, A., King, H., Margni, M., McLaren, S., Mueller, C., Owsianiak, M., Peters, G., Roos, S., Sala, S., Sandin, G., Sim, S., Vargas-Gonzalez, M., Ryberg, M., 2020. Review of life-cycle based methods for absolute environmental sustainability assessment and their applications. Environ. Res. Lett. 15, 083001.
- Bjørn, A., Hauschild, M.Z., 2015. Introducing carrying capacity-based normalisation in LCA: framework and development of references at midpoint level. Int. J. Life Cycle Assess. 20, 1005–1018.
- Bjørn, A., Richardson, K., Hauschild, M.Z., 2019. A Framework for Development and Communication of Absolute Environmental Sustainability Assessment Methods. J. Ind. Ecol. 23, 838–854.
- Epures, 2021. Quelle participation Sud Loire à l'atteinte des limites planétaires ?
- European Commission, 2010. International Reference Life Cycle Data System (ILCD) Handbook. Joint Research Center.
- Hjalsted, A.W., Laurent, A., Andersen, M.M., Olsen, K.H., Ryberg, M., Hauschild, M., 2021. Sharing the safe operating space: Exploring ethical allocation principles to operationalize the planetary boundaries and assess absolute sustainability at individual and industrial sector levels. J. Ind. Ecol. 25, 6–19.
- Paquot, T., 2011. Qu'est-ce qu'un « territoire » ? Vie sociale n° 2, pp. 23 à 32.
- Poisvert, C., Curie, F., Gassama, N., 2016. Évaluation des pressions azotées.
- Ryberg, M.W., Owsianiak, M., Richardson, K., Hauschild, M.Z., 2018. Development of a life-cycle impact assessment methodology linked to the Planetary Boundaries framework. Ecol. Indic. 88, 250–262.
- Sala, S., Crenna, E., Secchi, M., Sanyé-Mengual, E., 2020. Environmental sustainability of European production and consumption assessed against planetary boundaries. J. Environ. Manage. 269, 110686.
- Wolff, A., Gondran, N., Brodhag, C., 2017. Detecting unsustainable pressures exerted on biodiversity by a company. Application to the food portfolio of a retailer. J. Clean. Prod. 166, 784–797.
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